Vol. 79, Nº 1Débat de spécialistes

Des recrues de police exécutant une danse.

Sensibilisation à la culture autochtone

Ce qui fonctionne et ne fonctionne pas

Des recrues néo-zélandaises de toutes les ethnicités exécutent un rituel de salutation et de défi maori. Cette cérémonie est enseignée dans le cadre de la sensibilisation à la culture maorie. Crédit : Police de la Nouvelle-Zélande

Les spécialistes :

  • Insp. Peter Stokes, conseiller stratégique national (Pacifique), police néo-zélandaise
  • Serg. à la retraite George Couchie, formateur en sensibilisation à la culture autochtone, Police provinciale de l'Ontario (OPP)
  • Cassandra Ivany, animatrice, First Nations Initiatives, Collège du Yukon
  • Insp. à la retraite Jim Potts, formateur sur les perceptions des Autochtones, GRC et OPP

Insp. Peter Stokes

En 2016, la population néo-zélandaise était estimée à 4,5 millions de personnes, et le recensement national de 2013 indique qu'elle est composée de 213 groupes ethniques (de plus de 100 personnes).

Environ 64 p. 100 des Néo-Zélandais sont de descendance européenne (G.-B., Canada, É.-U., Irlande et Europe) et environ 15 p. 100, des Maoris (peuple indigène). Les 21 p. 100 restants viennent d'Asie et d'Asie de l'Est, des îles du Pacifique et d'ailleurs.

En 1840, la G.-B. et les tribus maories ont signé le traité de Waitangi dont le caractère contraignant a, à ce jour, une incidence profonde sur les relations entre les deux principales composantes de la société néo-zélandaise.

L'une des six valeurs fondamentales de la police nationale néozélandaise est

« l'engagement envers les Maoris et le Traité de Waitangi ». Cet engagement oblige la police nationale à établir un partenariat efficace avec les Maoris. Pour cela, elle doit mieux comprendre et reconnaître l'importance du Traité pour les Maoris et la Nouvelle-Zélande. Elle doit aussi trouver des moyens de faire participer les Maoris aux décisions policières et procédures opérationnelles, et mettre en œuvre des stratégies pour atténuer l'incidence des infractions criminelles commises par les Maoris.

Pour incorporer cette valeur au milieu policier, une formation intitulée « Responsiveness to Maori » (RTM) est dispensée aux recrues au Collège royal de police de la Nouvelle-Zélande (RNZPC) et dans certains cours d'avancement et de spécialistes.

Elle consiste à expliciter le Traité de Waitangi et à l'intégrer au milieu policier en définissant les coutumes et protocoles des Maoris, en anticipant l'incidence des pratiques opérationnelles de la police sur les Maoris et en les évaluant.

Durant les 16 semaines de formation des recrues, on insiste fortement sur le programme RTM, mais il n'y a pas encore de normes d'examen (théorique et pratique) pour les évaluer.

Étant donné la diversité de la population et ses propres valeurs fondamentales, la police néozélandaise est obligée de former son personnel au travail communautoire efficace.

Actuellement, elle s'emploie à revoir tous les cours de savoir-faire et de sensibilisation culturelle, dont le programme RTM, destiné au personnel policier.

On va examiner, améliorer, uniformiser et mesurer l'efficacité des cours de sensibilisation culturelle pour les Maoris (et d'autres groupes ethniques importants) qui sont donnés à tous les niveaux (recrues, promotions, haute direction et spécialistes) au collège de police.

On décidera ensuite s'il y a lieu de créer une école séparée pour les Maoris et d'autres groupes ethniques au sein de la RNZPC; celle-ci serait alors chargée de l'orientation stratégique et de la prestation des programmes de sensibilisation culturelle à la police néo-zélandaise et, s'il y a lieu, à d'autres organismes gouvernementaux.

Tout cela dans le but de faire en sorte que le personnel policier soit à même de travailler efficacement avec une société néo-zélandaise de plus en plus diversifiée.

Serg. à la retraite George Couchie

Lorsqu'on fait de la sensibilisation culturelle, on doit être conscient de la diversité des peuples et communautés autochtones présents dans les différents secteurs de service. Chaque communauté a une histoire, une culture, des traditions et des difficultés qui lui sont propres et la formation doit en tenir compte. L'approche à l'emporte-pièce et universelle ne fonctionne tout simplement pas.

Les cours doivent toujours être élaborés en collaboration avec des aînés, des jeunes et d'autres membres des communautés autochtones. L'appui des aînés apporte énormément aux participants et aux formateurs. Les échanges avec les aînés, durant les pauses par exemple, aident les participants à mieux comprendre, à un niveau plus personnel, les sujets abordés.

Pour que le milieu d'apprentissage soit accueillant et sécuritaire, on demande aux participants de ne pas porter d'uniforme et de venir avec l'esprit ouvert et le désir d'apprendre. L'emplacement de la salle et son aménagement ont aussi leur importance. L'utilisation de cercles de partage combinés aux accessoires habituels (projecteur ACL, tables et chaises) favorise et accentue l'aspect transformationnel de la formation. Les participants sont dans un endroit sûr où ils peuvent apprendre avec le soutien de l'instructeur, d'aînés et de pairs.

Comme les cérémonies font partie de la formation, on doit prendre le temps qu'il faut pour que les participants comprennent l'importance de ces rituels avant d'être invités à y participer.

L'expérience est plus enrichissante lorsqu'elle repose sur une approche pratique et expérientielle. Je crois même que c'est un gage de succès. Ce type d'approche permet aux participants d'appréhender ce qui leur est enseigné avec leurs affects. Lorsque l'enseignement est purement intellectuel, on se borne à présenter une série de faits qui peuvent laisser froids. L'apprentissage expérientiel permet au contraire de mieux saisir les réactions émotionnelles de l'autre et d'explorer sa vision du monde.

La problématique autochtone au Canada découle d'une histoire longue et complexe. En abordant en profondeur et de manière systématique des sujets comme la culture, l'histoire, les pensionnats, les traités, les conditions socio-économiques, les préoccupations actuelles et nouvelles, les pratiques exemplaires et la réconciliation, les participants ont le temps d'assimiler et d'intégrer les notions enseignées.

Idéalement, la formation devrait durer trois à quatre jours et, dans la mesure du possible, être entrecoupée d'activités pratiques et méditatives comme le canotage ou la confection d'un tambour, d'un masque ou d'une pagaie. Une formation donnée à la hâte risque de faire plus de mal que de bien.

Cassandra Ivany

Une grande partie de mon travail consiste à animer des ateliers sur l'histoire et la culture des Premières Nations au Yukon. Si je vous disais d'emblée que je ne suis pas de descendance autochtone yukonnaise, vous seriez sans doute surpris. Mais si mes cheveux et mes yeux bruns peuvent donner le change, mon accent terre-neuvien, lui, me trahit. Pourquoi une Terre-Neuvienne pure laine anime-t-elle, à l'autre bout du pays, des ateliers sur la culture des Premières Nations au Yukon est une autre histoire, mais cela contribue sans doute à notre succès.

Le juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et de réconciliation, rappelle que la réconciliation dépendra de la capacité de tous les Canadiens à travailler ensemble, et j'ai l'honneur de travailler chaque jour avec une équipe fantastique, constituée d'Autochtones et de non-Autochtones.

Les Canadiens non autochtones peuvent ne pas comprendre leur rôle dans le débat sur la réconciliation. La crainte d'offenser ou de froisser involontairement quelqu'un peut être paralysante. Mon rôle consiste donc en partie à exposer mes idées fausses, mes faux pas, mes craintes et mes doutes, et à rappeler à chacun que l'important est de continuer à avancer et à tracer un nouveau chemin ensemble.

En tant que non-Autochtone, je crois que les gens doivent comprendre que je ne parle pas au nom des Premières Nations. L'information que nous diffusons est vérifiée par les 14 Premières Nations du Yukon. Le comité consultatif du président du Collège du Yukon sur le programme First Nations Initiatives se réunit chaque trimestre pour discuter des questions d'éducation et est un lien essentiel entre le Collège du Yukon et les gouvernements des Premières Nations du territoire. Il a élaboré le cadre des ateliers et entériné le contenu et la documentation des cours.

Lorsque j'arrive dans une salle de classe avec mes collègues et que je me présente, il y a toujours quelques visages perplexes. Je précise alors aussitôt que la matière que je vais livrer ne vient pas de moi, mais reflète l'orientation donnée par les 14 Premières Nations du Yukon, ce qui donne plus de poids à ma présentation et me rend confiante d'être à la hauteur de la tâche.

Ces ateliers reviennent sur des périodes sombres de l'histoire du Canada : la colonisation, l'assimilation, les séquelles du système des pensionnats; des choses parfois pénibles à entendre. De nombreux participants s'attendent à un exposé qui suinte la culpabilité. Le premier commentaire léger est souvent accueilli par un silence de mort ou un rire hésitant; pourtant, les gens nous disent souvent à la fin de l'atelier qu'ils ont eu, contre toute attente, du plaisir. L'humour détend l'atmosphère et crée un environnement où les participants osent poser des questions dérangeantes; c'est essentiel à notre succès. Il n'y a pas de sujet tabou. Ces questions donnent le la et suscitent des discussions profondes. Et c'est comme ça que l'apprentissage transformationnel a lieu.

Animateurs autochtones et non autochtones, nous sommes parvenus à enseigner notre histoire commune dans une atmosphère accueillante et inclusive, où les participants peuvent échanger ouvertement et remettre en question certaines idées fausses à propos des Premières Nations, le tout dans la bonne humeur. Cela a ouvert le dialogue avec la GRC, les services sociaux et de santé, les ministères de l'Éducation et de la Justice – des interlocuteurs avec lesquels les Premières Nations ont entretenu des relations difficiles dans le passé – et a permis de resserrer les liens et de nous rapprocher d'une véritable réconciliation.

Inspecteur à la retraite Jim Potts

C'est en 1974 que la GRC a introduit la formation en sensibilisation culturelle dans l'univers policier canadien. À l'époque, c'était une formation en cours d'emploi de trois jours intitulée Cours d'initiative interculturelle.

Elle est maintenant reconnue comme un moyen éprouvé d'accroître la capacité du policier à travailler efficacement avec les communautés autochtones. Hélas, peu en font une priorité à moins d'y être incités ou contraints par une commission d'enquête officielle sur la conduite de policiers (crises d'Oka et d'Ipperwash, l'affaire Donald Marshall, etc.).

Il est vrai que les ressources policières sont fortement sollicitées, de sorte que cette formation, bien que relativement facile à documenter, peut être difficile à concevoir et à donner.

Voici quelques suggestions basées sur l'expérience que j'ai du Cours d'initiative interculturelle qui dure maintenant quatre jours et a été rebaptisé Perceptions des Autochtones.

Ce cours vise à fournir des outils et de l'information pratique. Il est complet et jugé crédible par les chefs autochtones, mais n'est pas toujours apprécié par les participants parce que le donner présente des difficultés étrangères à la plupart des autres types de formation en cours d'emploi.

Qu'est-ce qui fonctionne? Pour obtenir le meilleur résultat et répondre aux besoins du personnel sur le terrain, les recommandations suivantes devraient être prises en compte :

La formation devrait être donnée dans un lieu confortable et en dehors du bureau.

Le cours devrait être adapté au secteur cible. Il devrait durer suffisamment longtemps pour couvrir une variété de sujets au moyen d'exposés, d'échanges dirigés, de cercles de discussion, et de cérémonies de purification et de sudation.

Les participants devraient être choisis parmi les personnes proches des communautés autochtones : répartiteurs de la station de transmissions, personnel administratif ou de première ligne dans les détachements et leurs chefs, etc. On devrait aussi songer à accepter les demandes de participation formulées par des organismes gouvernementaux non policiers qui pourraient enrichir le cours.

Les formateurs devraient privilégier la discussion active. Il est conseillé de mettre les participants au travail dès la première journée en leur distribuant un questionnaire. Exemple de questions : De nombreuses communautés autochtones se méfient de la police. Pourquoi? Que pourriez-vous faire pour changer les choses? Beaucoup croient que le système des réserves devrait être aboli. Qu'en pensez-vous? Pourquoi?

Le succès du cours repose en grande partie sur ses prestataires; il faut des ressources qualifiées et crédibles, dont au moins un aîné respecté par les leaders autochtones de la communauté, un coordonnateur capable de traiter d'enjeux nationaux et qui jouisse d'une vaste expérience policière dans les situations de crises autochtones hautement médiatisées, et deux policiers de la région (autochtones si possible) travaillant avec des communautés autochtones. Et ce n'est pas parce qu'un policier est d'origine autochtone qu'il connaît bien la culture autochtone. La plupart ont été élevés à l'extérieur des réserves.

Plutôt que de distribuer d'épais classeurs, remettre des feuilles renfermant des conseils sur l'établissement de relations ou des stratégies de travail avec les communautés ou encore un guide sur le travail durant un conflit. Les policiers pourront s'inspirer de ces documents par exemple.

Demander à l'aîné de faire une prière à l'ouverture et à la clôture de la séance, de parler de la spiritualité autochtone aux participants, d'expliquer ce qu'est une cérémonie de purification ou un feu sacré et ce dont il faut tenir compte dans les enquêtes sur une mort subite ou autre.

Les études de cas devraient être basées sur des incidents réels et récents, y compris ceux qui se sont produits dans les environs. Encourager les participants à parler de leur propre expérience.

Tout au long de la formation, insérer une variété de récits et de légendes traditionnelles afin de renforcer les notions enseignées. Faire preuve d'humour pour que l'atmosphère reste légère. Éviter d'être sur la défensive lorsque quelqu'un tient des propos que d'autres jugent offensants. Dire plutôt quelque chose comme « Il faut du courage pour exprimer ce que l'on pense et je suis heureux que vous l'ayez fait. Parlons-en. »

Qu'est-ce qui ne fonctionne pas?

Si rien de ce qui précède ou presque n'est fait, selon mon expérience, le cours n'aura pas l'effet recherché et ce pourrait être un gaspil-lage d'argent.

Avoir une attitude positive est indispen-sable pour bâtir des relations de travail efficaces avec les communautés, qu'elles soient autochtones ou non. Bien donné, ce cours fournit tout ce dont on a besoin pour nouer les relations souhaitées puisqu'il parvient à changer les attitudes, à élargir les horizons, à développer chez les participants la compréhension, l'empathie, la compassion et l'intérêt pour les cultures autochtones.

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