Vol. 76, Nº 2Débat de spécialistes

Quel rôle doit jouer la police pour dissuader les jeunes d’adhérer à un gang?

Les spécialistes

  • Mark Totten, Ph.D., professeur de justice pénale, Collège Humber, Toronto, auteur de Gang Life: Ten of the Toughest Tell Their Stories
  • Cap. Nicole Noonan, Section de la jeunesse, Dét. de Surrey de la GRC, Colombie-Britannique
  • Gend. Alan Devolin, programme Youth at Risk Development, Service de police de Calgary
  • Commandant François Bleau, Division du crime organisé, Service des enquêtes spécialisées, Service de police de la ville de Montréal

Mark Totten, Ph. D.

Au cours des dix dernières années, j'ai eu l'occasion de travailler avec la GRC, l'OPP et divers services de police municipaux dans le cadre de projets visant à prévenir l'adhésion des jeunes aux gangs, à encourager les jeunes à en sortir et à réprimer les gangs. J'ai aussi évalué trois projets quinquennaux sur les gangs financés par le Centre national de prévention du crime.

Forts des études canadiennes et étrangères en la matière, nous savons désormais ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Voici quelques-unes des leçons tirées de la recherche :

La police ne peut faire cavalier seul. De vas-tes partenariats s'imposent avec les organismes en matière d'éducation, de santé, de bien-être de l'enfant, de justice pour les jeunes, de services correctionnels, de toxicomanies et autres. Des partenariats axés sur la mise en commun des ressources et de l'information.

La majeure partie des fonds affectés au problème des gangs au Canada vont à la police et au système correctionnel. Pourtant, les autres secteurs ont un rôle important à jouer. Il nous faut trouver le moyen de réaffecter des fonds aux stratégies d'intervention précoce afin de repérer et d'aider le nombre relativement faible de jeunes à risque dans la collectivité.

Faute d'une supervision et d'un soutien intensifs, ces jeunes deviendront les délinquants violents de demain. Nous sommes à même de réduire considérablement le taux de crimes graves et l'activité des gangs dans la collectivité. La plupart des membres de gangs sont issus d'une famille ayant déjà été impliquée dans des gangs et des crimes graves.

La mise en commun d'information entre la police et les organismes sociaux est essentielle. Le projet Youth Leading in a Good Way au Manitoba et le projet de services anti gang à Regina ont établi des protocoles novateurs en la matière.

De nombreux établissements correctionnels sont infestés de membres de gangs. Certains détenus trempent dans les gangs parce qu'ils ont besoin de protection ou d'obtenir de la contrebande (drogues, cigarettes). Il est très difficile pour les membres de s'affranchir d'un gang une fois incarcérés.

Et une fois libérés, certains détenus membres d'un gang réintègrent leur collectivité d'origine pour recruter des jeunes. Il nous faut trouver des solutions de rechange à l'incarcération.

La police dans les écoles est importante, mais nous devons raffiner notre façon d'affecter les ressources. Les campagnes de peur (par l'entremise notamment de présentations en classe et devant une assemblée d'élèves sur la sinistre réalité de la vie dans les gangs) se sont révélées d'une utilité limitée.

Les agents de police doivent plutôt cibler leurs efforts envers la poignée d'élèves à risque en agissant comme mentors et en essayant de mieux connaître leur milieu familial. Les jeunes qui se livrent à l'intimidation proviennent généralement d'une famille dysfonctionnelle. Ce sont eux qui doivent retenir notre attention.

Les membres de gangs proviennent généralement d'une famille où la violence règne. Toute intervention pour prévenir la violence familiale aura un effet positif sur la vie des enfants.

La prévention n'exige pas nécessairement des fonds additionnels ni des programmes spécialisés. Prendre dix minutes dans la journée pour écouter un jeune peut faire toute la différence.

Cap. Nicole Noonan

L'évolution rapide de la technologie creuse le fossé entre les générations. Les nouveaux immigrants font face à des obstacles linguistiques et culturels, et nombre d'entre eux ont connu des événements traumatisants. Les jeunes nés au Canada sont exposés à des tentations et les membres de leur famille n'ont pas les outils nécessaires pour les gérer. Pour ces raisons, entre autres, certains jeunes se tournent vers les gangs.

Même dans un vaste environnement urbain comme Surrey (C.-B.), il faut un village pour élever un enfant, et les membres de la police font partie de ce village. Avec le temps, notre rôle évolue. Les policiers peuvent choisir de jouer un rôle dynamique en prévention criminelle; quel meilleur point de départ que d'essayer de prévenir l'adhésion des jeunes à un gang?

À titre de policiers, nous sommes en mesure de repérer rapidement les jeunes à risque dans le cadre de nos tâches quotidiennes. Par ailleurs, il nous est facile de nouer des partenariats communautaires pour venir en aide aux jeunes à risque et intervenir de façon coopérative.

Il y a plusieurs raisons qui poussent les jeunes à faire partie d'un gang, mais le thème récurrent, c'est celui d'une coquille vide sans attachement sain à un adulte constituant un modèle de comportement positif. Ce qui les rend susceptibles de faire de mauvais choix et de tomber entre les mains accueillantes d'un gang. Les policiers peuvent devenir ces modèles de comportement prosocial, ou aiguiller les jeunes à risque vers une personne apte à remplir ce rôle.

À Surrey, le district scolaire, la GRC et l'administration municipale ont conclu un partenariat pour aborder les gangs de jeunes et la violence. Il s'agit de dissuader les jeunes de faire partie d'un gang, et d'inciter ceux qui en sont déjà membres à en sortir.

Dans le cadre de ce programme, intitulé WRAP, les jeunes à risque sont littéralement entourés de ressources et mis en contact avec des adultes constituant un modèle de comportement aptes à les orienter vers un mode de vie sain, prosocial. Deux membres de la GRC sont affectés à plein temps à ce programme, et plu-sieurs autres, à temps partiel ou à titre bénévole.

Les jeunes sont aiguillés vers le programme par des intervenants divers : professeurs, po-liciers, agents de probation, travailleurs auprès des jeunes, employés du ministère des Enfants et du Développement de la famille, parents et employés municipaux.

Chaque jeune aiguillé est évalué en fonction des facteurs de risque et de protection et se voit attribuer un gestionnaire de dossier. On crée alors un plan individualisé afin de favoriser les influences positives et d'atténuer les influences négatives. On met en œuvre des interventions adaptées au jeune et à sa culture.

En collaboration avec les partenaires communautaires, on offre au jeune des possibilités d'activités récréatives prosociales, un soutien thérapeuthique, une formation, notamment à l'emploi, jusqu'à ce qu'il atteigne une certaine stabilité.

Le programme présente une efficacité qui ne se dément pas et se mesure par une diminution des démêlés avec la police.

Fait intéressant, on relate d'innombrables cas de jeunes qui ont retrouvé le droit chemin après avoir été aiguillé vers le programme. Nombre d'entre eux attribuent le changement positif dans leur vie au policier qui a pris leur situation à coeur.

Les obstacles ne manquent pas; cela dit, grâce à un engagement soutenu envers les jeunes à risque, ainsi qu'à des partenariats et des interventions dynamiques et coordonnées, la police peut jouer un rôle déterminant en vue de dissuader les jeunes de se joindre à un gang.

Gend. Alan Devolin

En 2006, Calgary a connu une intensification sensible des crimes et de la violence des gangs, qui étaient le fait de deux principales factions enlisées dans le mode de vie des gangs.

Cette violence a provoqué une augmentation des homicides, dont un triple meurtre, le 1er janvier 2009, au cours duquel un passant innocent a été abattu dans un restaurant de la localité.

Aujourd'hui, nombre des personnes associées à cette violence sont soit mortes, soit incarcérées. À long terme, une intervention durable s'impose pour empêcher les jeunes d'embrasser ce mode de vie.

Conscient du problème, le Service de police de Calgary (SPC) a collaboré avec des partenaires à l'élaboration d'une stratégie concertée axée sur des initiatives d'éducation, de prévention ciblée, de perturbation, de répression et d'enquête.

Un volet important de cette démarche est le programme Youth at Risk Development, dit YARD, lancé en 2008 par le SPC et les services communautaires et de proximité de la ville de Calgary.

Il s'agit d'une initiative communautaire d'intervention précoce visant à soutenir les jeunes de 10 à 17 ans faisant partie d'un gang ou susceptibles d'y adhérer.

Initialement financé par le Centre national de prévention du crime (CNPC), le gouvernement albertain a pris la relève en 2011 par l'entremise du fond de confiscation civile, de façon à couvrir le coût des initiatives communautaires.

Le programme est passé de deux à quatre équipes formées chacune d'un policier et d'un travailleur social autorisé. Avec le soutien d'un psychologue des services de santé provinciaux, tous travaillent étroitement avec le jeune, sa famille, l'école et les organismes communautaires en vue d'élaborer un plan individualisé adapté aux besoins et aux facteurs de risque du participant.

Le policier et le travailleur social travaillent de concert pour établir une relation positive avec le jeune et l'aider à prendre des décisions judicieuses dans sa vie.

Une fois mobilisés, le jeune et sa famille reçoivent un éventail de services adaptés à leurs besoins. En tablant sur les forces du jeune et de sa famille, le programme vise à atténuer les facteurs de risque évalués initialement.

Le programme a permis de réduire les activités criminelles de nombreux participants et a une incidence positive chez les jeunes à risque, notamment en favorisant l'utilisation constructive de leur temps, leurs relations avec des groupes d'amis qui les appuient, l'amélioration de la maîtrise de soi, l'atténuation des facteurs de risque et l'intensification des facteurs de protection.

Parmi les centaines de jeunes et de membres leur famille participant au programme, les exemples de réussite ne manquent pas.

Ainsi, un jeune amateur de basketball, qui autrement aurait pu glisser entre les mailles du filet, a reçu un encadrement et un appui soutenus. L'adolescent a eu l'occasion de se rendre aux États-Unis pour participer à un tournoi de dépistage avec le travailleur de la jeunesse affecté à son dossier, et qui avait aussi une expérience du basketball.

Grâce au soutien du travailleur, l'adolescent a surmonté les épreuves et su profiter du tournoi. À son retour au foyer, il a assumé les fonctions d'entraîneur adjoint de l'équipe et travaille désormais dans des camps d'entraînement. Il s'est également vu offrir une bourse sport-études universitaire.

Le programme YARD s'inscrit dans un éventail de stratégies élaborées de concert avec les partenaires communautaires pour aborder les volets d'éducation, de prévention, d'intervention précoce, de traitement et d'application nécessaires pour accroître la sécurité et réduire le crime.

En partenariat avec les intervenants de la collectivité, cette démarche aide à détourner les jeunes Calgariens des gangs et du crime.

Commandant François Bleau

Le programme PSI-Montréal a vu le jour en 2009. Il a pour but d'encadrer durant cinq ans des individus âgés de 15 à 25 ans, qui ont obtenu une sentence reliée à la criminalité gangs de rue et qui sont à haut risque de récidive. Ce programme a pour objectif de réduire la délinquance lucrative avec violence, augmenter la participation des jeunes à des activités pro-sociales et intensifier la surveillance des jeunes. Le but ultime est de leur offrir des alternatives à la délinquance de violence.

La stratégie du programme réside sur une approche intégrée des axes de répression, prévention et intervention clinique. Cette vision nécessite le partenariat de policiers, de travailleurs sociaux des centres jeunesse, d'agents de probations juvéniles et adultes, de procureurs de la couronne et de travailleurs de rue.

Le projet est principalement financé par le gouvernement fédéral (2.5 millions$ sur 5 ans). Il est dirigé par le Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire. L'ensemble des intervenants travaille de concert dans le but d'encadrer les sujets les plus délinquants.

Un travail en étroite collaboration entre les intervenants au travers d'un comité opérationnel (la cellule) permet d'assurer un suivi serré des clients et une prise en charge efficace de ces derniers. Il est ainsi possible de rapidement évaluer ou réévaluer la situation de chaque client et d'adapter les actions en fonction de ses besoins propres.

PSI-MTL est déployé dans des arrondissements ciblés en raison d'une liste de critères sociologiques. Brièvement, le milieu doit posséder un nombre suffisant de délinquants résidents, une présence d'organismes de rue et une volonté politique des élus. Des arrondissements municipaux furent sélectionnés sur le territoire de Montréal en fonction de ces critères.

Le comité opérationnel effectue une sélection de candidats, en fonction du haut risque de récidive et de la nature de violence de leur délinquance. Le candidat doit signer un engagement devant le juge. Il s'engage à suivre le programme PSI-Mtl, sinon il sera judiciarisé en cas d'échec.

Le programme est basé sur 18 semaines. Il y a trois phases égales de six semaines :

La surveillance intensive réalisée par des policiers et des agents de probations juvéniles et adultes, qui surveillent le respect des conditions de remise en liberté du sujet. Concrètement, il y a des vérifications de couvre-feu et des rencontres aléatoires pour discuter avec le sujet.

Le suivi clinique effectué par des travailleurs sociaux. Ils donnent des ateliers sur la gestion de la colère et les comportements prosociaux. Le tout dans le but de les munir d'outils, afin d'éviter le passage à l'acte.

Le soutien. En cas de difficulté, le sujet est orienté vers des ressources communautaires qui viennent le soutenir dans sa réinsertion sociale.

À la fin des 18 semaines, le sujet reçoit une reconnaissance.

Un bilan de ce projet est en rédaction pour l'automne 2014. Ce qui ressort sommairement de l'expérience, c'est qu'il y a une diminution des actes de violence auprès de sujets ayant participé au programme PSI-Mtl. Le projet a permis aussi d'améliorer la cohésion de l'ensemble des intervenants impliqués dans la prise en charge de jeunes délinquants.

Date de modification :