Vol. 79, Nº 1Reportage

Avion en vol.

Le phénomène des combattants étrangers

La GRC confie à des chercheurs l'étude de programmes étrangerS

S'il est probable que seul un faible pourcentage des combattants étrangers rentreront chez eux, la menace qu'ils posent inquiète de nombreux gouvernements, y compris celui du Canada.

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Depuis bientôt six ans que la guerre sévit en Syrie, les forces de l'ordre n'ont pas fini de s'adapter au phénomène des combattants étrangers dans sa mouture contemporaine. Cette année, la GRC s'est alliée à des étudiants à la maîtrise de l'École des affaires mondiales Munk de l'Université de Toronto afin de l'étudier à fond.

Les étudiants ont examiné ce que font les gouvernements qui s'intéressent aux combattants étrangers afin de proposer des politiques à mettre en œuvre à la GRC et à la collectivité canadienne de la sécurité. Ils ont pris sept mois pour saisir un phénomène complexe, mondial et en évolution, puis ils ont présenté le fruit de leurs recherches à Sécurité publique Canada, à Affaires mondiales Canada et à la GRC, en avril dernier.

Phénomène mondial, répercussions locales

L'instabilité se répand au Moyen-Orient, semant la guerre et la déliquescence en Syrie et en Irak. L'ampleur et la complexité du conflit — auquel contribuent des tensions ethniques et sectaires et la colère des sunnites devant leur exclusion politique et les abus — et l'éclosion du groupe armé État islamique (EI, aussi appelé Daech) réservent des défis sans précédents aux forces de l'ordre.

Entre 27 000 et 31 000 personnes provenant d'au moins 86 pays ont rejoint Daech et d'autres groupes belligérants en Syrie et en Irak. Plus de 5 200 d'entre eux viennent d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord. S'il est généralement reconnu qu'un faible pourcentage des combattants étrangers rentreront dans leur pays d'origine, la menace qu'ils pourraient poser à leur retour inquiète de nombreux gouvernements, y compris celui du Canada. Ces dernières années, des attentats terroristes ont été commis en Europe par d'anciens combattants étrangers.

Quand le directeur du SCRS Michel Coulombe s'est adressé au Sénat canadien en mars, il estimait que 180 de ces 5 200 voyageurs étaient canadiens et que 60 d'entre eux étaient revenus au pays. Ces chiffres fluctuent et excluent les individus qui ont des activités menaçantes au Canada et qui n'ont pas quitté le pays.

Un regard neuf

Le programme de maîtrise de l'École des affaires mondiales Munk de l'Université de Toronto est un nouveau venu dans l'offre des grandes écoles en relations internationales. Ses premiers diplômés ont terminé le programme en 2012.

Le programme prépare les étudiants aux réalités pratiques du monde complexe qu'est devenu le nôtre. En deuxième année, plutôt que de rédiger une thèse, les étudiants sont jumelés dans un rôle de consultant à des organisations qui se butent quotidiennement à ces réalités : des organisations humanitaires non gouvernementales (ONG), des institutions mondiales comme la Banque mondiale et l'OTAN, des ministères comme Affaires mondiales Canada et la GRC.

En 2015, la GRC a proposé à l'École Munk de donner à une équipe d'étudiants en Affaires mondiales l'occasion d'examiner le phénomène des combattants étrangers qui rentrent au pays (CERP). Ils ont été cinq à côtoyer pendant plusieurs mois l'équipe de Recherche et Innovation de la GRC afin de bien comprendre le contexte juridique dans lequel évoluent les organismes canadiens d'application de la loi, les outils dont dispose la GRC et le rôle que chacun permet à l'organisation de jouer dans la grande collectivité canadienne de la sécurité.

Au terme de ce projet de recherche, la GRC disposait du survol des actuelles pratiques en usage dans le monde pour gérer la menace des CERP et des répercussions que ces programmes pourraient avoir au Canada si on les y appliquait.

Le projet s'est déroulé en deux temps. On a d'abord recensé les politiques et les programmes d'autres pays concernant les CERP, en ciblant les pays d'où l'on estime qu'au moins une centaine de combattants étrangers ont gagné l'Irak ou la Syrie. Certaines mesures sont propres aux CERP, comme la révocation de citoyenneté, et d'autres relèvent du contre-terrorisme et on les applique aux CERP, comme des programmes de démobilisation.

Ensuite, on a examiné les mesures rattachées aux politiques courantes mises au jour en début de projet. Selon les incidences que chacune pourrait avoir au Canada, on en a proposé diverses combinaisons et examiné les résultats prévus, en tenant compte du contexte canadien et des cadres juridiques national et international.

Il ne s'agissait pas de déterminer quelle était la meilleure combinaison de mesures, ni d'en recommander une particulière au Canada, mais d'examiner des mesures natio-nales existantes et d'en évaluer l'applicabilité au Canada. Le projet a mis une recherche fouillée à la disposition de la GRC et d'autres partenaires, comme Sécurité publique Canada et Affaires mondiales Canada.

Faits saillants

Devant la nouveauté des mesures appliquées aux CERP, les étudiants ont constaté qu'il n'y a pas encore de pratiques exemplaires établies. Des combattants étrangers prennent part à des conflits internationaux depuis des siècles, mais il aura fallu la guerre civile en Syrie et la montée de Daech pour attirer les yeux du monde sur le phénomène. La nouveauté des mesures gouvernementales signifie l'absence de données longitudinales pour évaluer l'efficacité des politiques et des programmes visant les CERP. Les gouvernements élaborent donc des politiques pour contrer la menace des CERP sans bien comprendre ce qui fonctionnera.

Le projet a mis en lumière l'absence d'indicateurs clairs pour évaluer l'efficacité des mesures visant les CERP. Aucun des pays consultés n'avait de document non classifié faisant état des indicateurs utilisés pour juger du succès des mesures visant les CERP et des stratégies de contre-terrorisme. C'est le cas au Canada aussi. Sans indicateur de succès, le cadre dominant est le « zéro échec », ce qui signifie que le moindre attentat terroriste, quelle qu'en soit l'ampleur, correspond à un échec absolu.

Les étudiants s'inquiètent de ce cadre, parce qu'il fixe une norme à peu près impossible à atteindre, et qu'il ne donne aucun crédit au travail de prévention efficace. Ils recommandent un nouveau cadre doté de mesures du degré de succès sur un continuum présen-tant divers degrés d'échec, de préférence à un cadre « zéro échec ».

Les étudiants ont dégagé ce qu'ont en commun diverses mesures d'autres pays à l'égard du phénomène des CERP et en ont fait l'analyse par type. En combinant les mesures de diverses façons, ils ont pu faire ressortir les enjeux propres à chaque mesure si elle était appliquée au Canada.

Dix stratégies reposaient sur des programmes ou des lois, par exemple des programmes exécutés par la société civile ou avec elle, la lutte à l'extrémisme violent (LEV) dans les prisons, le contrôle et la surveillance, et l'imposition des visas et des contrôles frontaliers pour limiter les déplacements des combattants étrangers.

Trois autres stratégies prévoient l'utilisation de divers outils pour atteindre le but visé, plutôt que de constituer des outils en soi : la déradicalisation, qui vise à modifier ou à modérer l'idéologie extrémiste; la démobilisation, qui vise à empêcher des individus radicalisés de se lancer dans des comportements violents; et la réintégration, qui renforce le potentiel économique et les liens sociaux des CERP afin de les réintégrer à la société.

Enfin, la coordination pangouvernementale demeure à la fois un but et un outil pour atteindre les objectifs en rehaussant l'efficacité et l'efficience des programmes et organismes gouvernementaux.

Les lendemains de la collaboration

Rapprocher les chercheurs canadiens du gouvernement du Canada profite aux deux milieux. La GRC travaille depuis longtemps avec des chercheurs sur des problèmes importants. Ce fut le cas avec le Projet Kanishka et avec le réseau TSAS (Canadian Network for Research on Terrorism, Security and Society).

Mobiliser la nouvelle génération de penseurs canadiens permet à la GRC de mieux comprendre certains problèmes parmi les plus complexes et aux étudiants d'appliquer leurs compétences à des vrais problèmes, de fournir un produit digne de ceux qui émanent des groupes de réflexion professionnels.

En 2016-2017, l'équipe de Recherche et Innovation de la GRC réserve de nouvelles questions aux candidats à la maîtrise de l'École Munk et compte bien renforcer ses liens avec l'université.

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