Vol. 76, Nº 3Reportage

Nouvelles substances psychoactives

Les nouvelles drogues de confection comportent des risques réels

Les substances synthétiques comme la méphédrone, la méthylone et le MDPV peuvent provoquer des effets semblables à ceux de l'amphétamine et de la MDMA. Crédit : Agence des services frontaliers du Canada

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Selon un rapport récent de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les drogues synthétiques occupent de plus en plus de place dans le marché de la drogue.

Le marché des drogues synthétiques est dominé depuis longtemps par les stimulants de type amphétamine (STA) comme la MDMA (méthylènedioxyméthamphétamine) et la méthamphétamine, qui sont maintenant plus consommés que la cocaïne, l'opium ou l'héroïne, mais les nouvelles substances psychoactives (NSP) gagnent actuellement du terrain.

Souvent appelées « euphorisants légaux » ou « drogues de confection », les NSP sont des drogues synthétiques conçues pour reproduire les effets pharmacologiques de substances réglementées. Elles sont souvent vendues comme des substituts sécuritaires à l'ecstasy ou d'autres STA, mais il est prouvé que leur consommation peut entraîner des effets néfastes graves sur la santé.

Bien qu'il n'existe pas de définition officielle des NSP au Canada, il est convenu qu'il s'agit de substances soit fabriquées par les humains (synthétiques), soit à base de plantes, dont les effets sont semblables à ceux de substances réglementées à l'échelle nationale ou internationale.

Par exemple, les cannabinoïdes synthétiques ont des effets comparables à ceux du THC, le principal ingrédient psychoactif du cannabis. De même, les cathinones synthétiques, qui comprennent des substances comme de la méphédrone, de la méthylone et du méthylènedioxypyrovalérone (MDPV), peuvent provoquer des effets stimulants semblables à ceux de l'amphétamine et de la MDMA.

La plupart des NSP saisies à la frontière sont identifiées au laboratoire de la Division des services d'analyse et criminalistique de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il est parfois difficile d'identifier ces substances méconnues.

Cadre législatif

Deux lois régissent principalement la drogue au Canada : la Loi sur les aliments et drogues (LAD) et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS). Ces lois ont des objets différents, mais forment un cadre législatif qui englobe la plupart des NSP.

Dans la LAC, « drogue » est un terme très général qui désigne essentiellement toute substance qui altère une fonction organique. La LAC, qui stipule qu'il est illégal de vendre de la drogue et d'en importer en vue de la vendre sans en avoir d'abord obtenu l'autorisation de Santé Canada, prévoit des mesures de répression en ce sens.

La LRDS, quant à elle, assure le contrôle de substances qui peuvent modifier les capacités mentales et nuire à la santé et à la société si elles sont détournées ou utilisées incorrectement. La LRDS interdit la production, le trafic, l'importation, l'exportation et, dans certains cas, la possession de substances réglementées. Contrairement à la LAC, la LRDS énumère les substances réglementées dans une série d'annexes. Les annexes I à V portent sur les substances réglementées et l'annexe VI, sur les précurseurs chimiques.

Toutefois, une substance qui ne figure pas en annexe de la LRDS n'est pas nécessairement non réglementée : plusieurs annexes permettent l'ajout d'autres substan-ces, notamment un sel, un produit dérivé, un isomère, un analogue, une préparation ou une préparation synthétique semblable à la substance principaleNote de bas de page 1.

Difficultés actuelles

La lutte contre le phénomène des NSP présente de nombreuses difficultés.

L'un des principaux obstacles à l'établissement de la réglementation est attribuable à la méconnaissance de ces drogues. Par exemple, dans bien des cas, on ne connaît que peu ou pas les effets à court ou à long terme ou la toxicité des NSP. De plus, ne connaissant pas l'activité pharmacologique de nombreuses NSP, il est difficile d'évaluer les effets nocifs ou la dépendance que celles-ci peuvent entraîner.

Les processus législatifs sont très complexes et longs : par exemple, au fédéral, après la soumission de l'évaluation et de la recommandation en vue d'une inscription, il peut falloir attendre de six à huit mois avant que la substance soit inscrite dans une annexe. C'est pourquoi le gouvernement canadien continue d'étudier des options pour accélérer le processusNote de bas de page 2.

Profil de NSP

Quatre grandes catégories de NSP :

  • Cannabinoïdes synthétiques (JWH-018, XLR-11)
  • Cathinones synthétiques (méphédrone, méthylone, MDPV)
  • Phényléthylamines (2C)
  • Pipérazines (BZP)

Autres catégories : tryptamines, aminoindanes, phénylcyclidines et substances d'origine végétale comme le khat et la salvia divinorum.

Il existe plus de NSP non réglementées dans le monde que de substances sous contrôle international.

Source : Santé Canada

Une autre difficulté réside dans la vitesse à laquelle le marché des NSP continue d'évoluer. Stimulée par Internet, l'industrie mondiale des NSP est propulsée par la rapidité des fabricants à mettre de nouvelles substances sur le marché et à créer de nouveaux marchésNote de bas de page 3. Au Canada, 121 NSP connues ont été mises sur le marché ces quatre dernières années.

« Le marché des drogues synthétiques connaît une expansion inégalée partout dans le monde, tant sur le plan de sa portée que de la variété des drogues offertes, affirme Jean-Luc Lemahieu, directeur de l'analyse politique et des affaires publiques de l'ONUDC. Étant donné que de nouvelles substances sont continuellement mises sur le marché, il est difficile pour les policiers de suivre le rythme des trafiquants et d'atténuer les risques pour la santé publique. »

En fait, aucune des 348 NSP recensées dans plus de 90 pays à la fin de 2013 n'est actuellement visée par un contrôle internationalNote de bas de page 4.

Un autre facteur préoccupant est que la vente de NSP n'est plus limitée aux marchés à créneaux. Dans toutes les régions du monde, on signale que des comprimés vendus comme étant de l'ecstasy ou de la méthamphétamine sont de plus en plus souvent des mélanges chimiques qui représentent un risque imprévisible pour la santé publique. Il est donc difficile de sensibiliser la population aux risques associés à l'achat ou à la consommation des NSP.

Jocelyn Kula, de la Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme de Santé Canada, insiste sur la nécessité de sensibiliser les jeunes : ceux-ci, qui estiment que les NSP sont sécuritaires et légales, représentent une proportion importante des consommateurs de ces substances.

Mme Kula ajoute qu'il est nécessaire de concevoir des outils pour éclairer et encourager le signalement des NSP par les intervenants comme les centres antipoison, les organismes d'application de la loi, le personnel de salles d'urgence et paramédical et toute autre personne qui pourrait être la première à détecter une NSP.

Lutte contre les NSP

Plusieurs initiatives ont été entreprises à l'échelle nationale et internationale pour remédier au problème toujours grandissant des NSP.

Même si la plupart des NSP ne sont pas encore inscrites aux tableaux de la Convention de 1971 sur les substances psychotropes, de nombreux pays contrent les NSP au moyen de diverses approches législatives : l'inscription des substances une par une, le recours à des processus d'inscription accélérés, l'imposition d'interdictions temporaires et l'adoption de lois analoguesNote de bas de page 5.

De plus, en 2013, l'équipe du Global Smart Program de l'ONUDC a lancé un portail qui facilite la collecte d'information sur l'incidence mondiale des NSP.

Enfin, l'Organe international de contrôle des stupéfiants a récemment lancé le projet ION (International Operations on NPS), qui favorise la mise en commun de renseignements opérationnels sur le mouvement intérieur et international des NSP.

Seize gouvernements participent actuellement au projet, soit l'Australie, le Canada (représenté par la Police fédérale de la GRC), la Chine, la France, l'Allemagne, l'Inde, le Japon, le Mexique, les Pays-Bas, le Nigeria, la Nouvelle-Zélande, la Russie, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et les États-UnisNote de bas de page 6.

En mai 2014, afin de sensibiliser la collectivité de l'application de la loi et les ministères fédéraux aux NSP, le Centre fédéral de coordination intérieure de la GRC a organisé une discussion d'experts à Ottawa. Des représentants de l'Organe international de contrôle des stupéfiants, de la GRC, de Santé Canada et de l'ASFC ont pu échanger avec d'autres participants à la lutte contre les NSP au Canada.

« Il est évident que les lois visant le contrôle des NSP ne s'appliquent pas à toutes les situations, avoue Mme Kula. Pour régler le problème, il faut adopter une démarche globale qui comprend plusieurs éléments, dont la prévention et le traitement, les contrôles législatifs, l'amélioration du contrôle des précurseurs et des infractions connexes et la lutte contre les réseaux de trafic. »

Au fur et à mesure qu'apparaîtront des NSP, la collectivité internationale de l'application de la loi et ses partenaires fédéraux continueront de sensibiliser le public aux risques pour la santé et la sécurité associés à ce type de drogue et d'échanger de l'information à l'échelle internationale afin de suivre le rythme du marché et d'en limiter l'expansion.

Le présent article a été rédigé en collaboration avec Jocelyn Kula de la Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme de Santé Canada.

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