Vol. 77, Nº 3Reportages

Moncton panse ses blessures

Des résidents ont planté 125 arbres dans le cadre du projet d'embellissement de la promenade Hildegard, où la fusillade et le confinement ont eu lieu. Crédit : Ville de Moncton

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Une stratégie de guérison à facettes multiples

Il faut parfois quelques secondes pour qu'une tragédie survienne et des mois pour s'en remettre.

Les résidents de Moncton (N.-B.) en savent quelque chose; ils viennent de souligner le premier anniversaire de la fusillade ayant fait trois morts et deux blessés chez les policiers de la GRC.

La crise a touché tout le monde : les agents de la GRC qui ont pourchassé le tireur, les premiers intervenants qui ont pris en charge les victimes et les membres de la communauté qui sont restés en confinement pendant plus de 30 heures.

Même si le tireur a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité, les répercussions de ses actes se font sentir encore aujourd'hui.

« Nous savons assurément que des gens ici ont encore besoin de soutien », affirme Laurann Hanson, gestionnaire des ressources humaines à la Ville de Moncton.

Pendant les jours, les semaines et les mois qui ont suivi la fusillade, une foule de ressources ont été mises à la disposition de tous à Moncton, tant les policiers que les résidents.

Un heureux hasard

Fait surprenant, des plans de rétablissement avaient été entrepris avant la tragédie à Moncton.

En effet, une semaine seulement avant la fusillade, Andrew Easton, un cadre du ministère de la Sécurité publique du N.-B., a assisté à une conférence à Boston sur les mesures d'intervention et de rétablissement de la Ville à la suite de l'attentat à la bombe au marathon en 2013.

La conférence a été organisée par une des têtes dirigeantes des mesures d'urgence aux É.-U., Richard Serino, ancien chef des services médicaux d'urgence de Boston et ancien administrateur adjoint de la Federal Emergency Management Agency (FEMA). M. Serino s'est occupé de certaines des crises les plus graves qu'ont connues les É.-U., dont l'attentat de Boston et l'ouragan Sandy en 2012.

À la conférence, M. Easton et plusieurs hauts fonctionnaires canadiens ont assisté à l'exposé de M. Serino sur la gestion des catastrophes. Ils ignoraient alors que les leçons tirées à la conférence s'appliqueraient à une tragédie qui allait se produire quelques jours plus tard à Moncton.

La collaboration est de mise

Comme la ville n'avait jamais connu une tragédie de cette ampleur, les dirigeants ont dû faire des pieds et des mains pour obtenir des conseils.

« Nous devions bien sûr trouver quelqu'un à qui parler et étions prêts à recevoir toute l'aide et tous les conseils que nous pouvions obtenir », affirme Mme Hanson.

Andrew Easton a demandé l'aide de Richard Serino, qui a tout de suite constaté des similitudes entre la tragédie de Moncton et l'attentat à la bombe au marathon de Boston, qui ont tous deux été suivis d'un confinement et d'une chasse à l'homme. Les deux événements ont eu des répercussions sur les policiers, les premiers intervenants et les membres de la communauté.

« J'ai pu transmettre certaines des leçons que j'avais tirées de mon expérience », explique M. Serino.

Ce dernier a souligné l'importance d'aider les personnes touchées par la crise, même après l'incident.

« Il importe de pouvoir recourir à des ressources et à du soutien pour pouvoir aider les survivants et les autorités municipales à guérir et à se concentrer sur le positif », soutient-il.

L'intervention des autorités municipales

Dans les heures suivant la fusillade, les responsables de la province du N.-B. ont communiqué avec les autorités à Moncton pour leur offrir d'entrer en contact avec M. Serino.

On souhaitait ainsi que les autorités aillent chercher le soutien approprié pour ceux qui en avaient besoin et que les citoyens sachent comment obtenir de l'aide dans les semaines et mois à venir.

« Nous en avons tiré une grande leçon », affirme Laurann Hanson.

Elle a vraiment saisi la nécessité de fournir des ressources communautaires lorsqu'elle a entendu des collègues vivant dans le secteur touché raconter leur expé-rience. Elle s'est rendu compte que tout le monde n'avait pas accès à des programmes d'aide en santé mentale.

« J'ai compris que ça aurait des conséquences néfastes sur les gens de la communauté s'ils n'obtenaient pas d'aide », ajoute-t-elle.

Elle n'a pas tardé à trouver les ressources disponibles à l'échelle locale et elle a communiqué avec les fournisseurs de soins de santé mentale de la région. Deux réseaux de santé, Horizon et Vitalité, se sont associés à la Ville pour offrir des services spécialisés.

« Les fournisseurs de soins présument, à tort, que tout le monde connaît les services offerts et sait comment les obtenir », explique Kathleen Buchanan, coordonnatrice du réseau Horizon.

En collaboration avec la Ville, Horizon a créé une brochure d'information sur la santé mentale annonçant les ressources offertes dans la région. Plusieurs mois après la tragédie, on a fait parvenir la brochure dans les résidences et les commerces à l'intérieur et autour de la zone de confinement.

« La tragédie a bouleversé tout le monde. Les gens réagissent tous différemment, c'est pourquoi il est important de mettre en place des services d'aide officiels », soutient Dawn Arnold, conseillère générale de la Ville de Moncton.

Sur la voie de la guérison

Richard Serino a également fait valoir l'importance d'organiser des services commémoratifs et des veilles pour rendre hommage aux victimes et aider les gens à tourner la page.

À Moncton, des activités commémoratives ont été organisées par les résidents, à la discrétion de ceux-ci. Dawn Arnold a fait partie d'un comité qui a décidé de planifier ses propres activités en fonction des besoins particuliers de la communauté.

« Les gens voulaient tous faire quelque chose, se souvient Mme Arnold. Quand un événement tragique survient, les gens veulent agir de façon positive pour en enrayer le négatif. »

Les résidents ne voulaient pas dans leur quartier d'un monument commémoratif qui leur rappellerait la fusillade. Ils ont plutôt mis de l'avant un projet d'embellissement de la promenade Hildegard, où les résidents ont été confinés.

En mai dernier, les résidents ont planté 125 arbres des deux côtés de la rue, dont des bouquets de trois érables rouges en hommage aux trois gendarmes tués. De nombreux membres de la GRC en tenue civile ont aidé à planter les arbres.

« Les membres de la communauté sont très unis et veillent les uns sur les autres, affirme Mme Arnold. Je pense que ce projet les a aidés et semblait être la bonne chose à faire. »

Le soutien offert aux policiers

Par ailleurs, le Détachement régional de Codiac de la GRC a offert un soutien personnalisé aux policiers à la suite de la fusillade.

« Nous avions pour but de nous assurer que chaque personne était prise en charge selon l'état de leur santé émotionnelle », explique la serg. Liane Vail des Services de santé de la GRC au N.-B.

Dans les 24 heures suivant la fusillade, le Détachement a mis en place un centre de consultation pour une durée d'une semaine, où les membres pouvaient s'entretenir individuellement avec des spécialistes de la santé et des conseillers et assister à des séances d'information sur la santé mentale et le retour au travail après un traumatisme.

De plus, les autorités du Détachement ont décidé d'accorder un congé de deux semaines à tous les membres. Avant leur retour au travail, les membres devaient être évalués par des psychologues, des médecins et des infirmiers. Les Services de santé de la GRC au N.-B. ont également engagé une infirmière pour offrir un soutien aux policiers pendant un an.

Les membres qui désiraient plus de discrétion pouvaient s'autoévaluer à l'aide d'un système de surveillance psychologique en ligne, créé en collaboration avec la clinique des traumatismes liés au stress opérationnel dirigée par le réseau Horizon. Si le système ciblait un participant, un employé des Services de santé faisait un suivi dans un délai de 24 heures.

Le système de surveillance, qui fait actuellement l'objet d'un examen, était offert aux membres pour une période d'une année suivant la fusillade. Si le système est jugé efficace, la GRC au N.-B. pourrait l'utiliser de façon continue pour évaluer la préparation mentale des membres.

Selon la serg. Vail, le système a été consulté plus de 900 fois pendant la période d'exploitation.

Un éventail de ressources et de mesures de soutien ont été offertes aux policiers de la GRC à Moncton, allant de soins infirmiers à des outils en ligne en passant par des présentations.

« C'est complexe : ce qui fonctionne pour l'un ne fonctionne pas nécessairement pour l'autre, explique-t-elle. Le seul fait que diverses ressources étaient offertes aux membres les a rassurés; ils savaient qu'on s'occupait d'eux. »

Aller de l'avant

De nombreuses ressources ont été mises à la disposition de la collectivité et des membres de la GRC. Et plus d'un an plus tard, du soutien est toujours offert aux gens de Moncton.

« Nous pouvons tous jouer un rôle de premier plan pour le bien-être de tous, soutient la serg. Vail. En mettant en commun nos ressources, la collectivité ne s'en portera que mieux. »

Comme l'a dit Richard Serino, la guérison des communautés passe par la mise en commun non seulement des ressources, mais aussi des façons de gérer les événements traumatisants. Ainsi, les connaissances dans le domaine sont enrichies et les autorités municipales sont mieux outillées.

« Le soutien d'une personne qui a de l'expérience de ce genre de situation peut réellement contribuer à la guérison, estime M. Serino. C'est pour cette raison que j'ai offert mon aide. Nous formons tous une seule collectivité, peu importe l'endroit d'où nous venons. »

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