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Portrait de quatre policières de la GRC vêtues de la tunique rouge, dans les années 1970.

Entretien avec quatre retraitées et anciennes membres de la troupe 17

Caporale Karen Adams. Commissaire Bev Busson. Gendarme Patricia Clark. Caporale Donna Morse. Crédit : GRC

Le 16 septembre 1974, 32 Canadiennes ont écrit une page d'histoire en devenant les premières femmes à être assermentées à la GRC. Elles formaient alors la troupe 17. Elles ont surmonté de nombreux obstacles, dont s'entraîner avec un sac pochette (article qui n'a d'ailleurs pas fait long feu) et faire leurs preuves dans un domaine à prédominance masculine. Meagan Massad, rédactrice de la Gazette, s'est entretenue avec quatre femmes de la troupe 17 (la caporale Karen Adams, la commissaire Bev Busson, la gendarme Patricia Clark et la caporale Donna Morse) pour savoir comment elles ont fait face aux difficultés, gagné en crédibilité et ouvert la voie à l'égalité des chances dans les services de police.

Des femmes sont alignées le long d'un trottoir. Derrière elles, un bâtiment en briques et une chapelle.

La troupe 17 de la GRC a commencé sa formation à la Division Dépôt, à Regina (Saskatchewan) le 23 septembre 1974.

Qu'est-ce qui vous a amené à joindre la première troupe de recrues féminines en 1974?

Karen Adams : Après mes études secondaires, je voulais devenir travailleuse sociale, mais après avoir travaillé dans le domaine, je me suis rendu compte que ça ne me convenait pas. La criminologie et la délinquance m'intéressaient davantage et j'ai commencé à songer à devenir policière. Puis, en 1974, quand la GRC a annoncé qu'elle embauchait des femmes, j'ai posé ma candidature.

Patricia Clark : J'ai toujours été fascinée par le travail policier, mais dans les années 1970, il y avait peu d'options pour les femmes. Quand la GRC a annoncé qu'elle en embauchait, je me suis dit : « Autant commencer avec la meilleure organisation! », et j'ai envoyé ma candidature.

Bev Busson : Je me destinais à devenir enseignante, mais j'ai constaté avec le temps que je suis un peu accro à l'adrénaline. L'enseignement ne me convenait donc pas. Lorsque j'ai entendu parler de la GRC, je me suis dit : « Wow, ça a l'air passionnant! ». J'ai pensé que ce serait une aventure extraordinaire, et cela a été le cas. Cette aventure a dépassé toutes mes attentes, et de loin.

Donna Morse : En 1973, je travaillais dans une banque et je n'avais pas accès aux mêmes possibilités que mes collègues masculins. Mon père était policier pour la Ville de Calgary. C'était un monde d'hommes à l'époque, mais je croyais qu'en devenant policière, j'aurais plus de contrôle sur ma carrière. En mai 1974, j'ai vu que la GRC recrutait des femmes. J'ai postulé et j'ai été acceptée à la Division Dépôt, tout s'est fait en un éclair.

Avez-vous gardé un souvenir particulier de votre formation?

Karen Adams : Dans la troupe, on était 32 femmes et on devait marcher en formation. Nos uniformes étaient très différents de ceux des hommes. Eux portaient les bottes et la culotte et quand ils marchaient sur les planchers de bois, leur cadence s'entendait très bien. Lors de notre dernier exercice avant les vacances de Noël en 1974, on a décidé de faire aussi entendre notre cadence, nous la troupe 17. Alors on a fixé des clochettes à nos chaussures Oxford (un des modèles fournis aux femmes à l'époque). Lorsque notre sergent instructeur est sorti, il a aussitôt entendu nos clochettes quand on s'est mises à marcher, il s'est arrêté, a regardé nos pieds et s'est efforcé de ne pas sourire, et on a tout de suite repris l'exercice. Pour la première fois cette journée-là, on a réussi à faire entendre notre cadence!

En 1974, les cadettes Cheryl Joyce (à gauche) et Jan Watson (à droite) essaient leur nouvel uniforme, lequel comprenait un tambourin et un sac pochette.

Patricia Clark : La GRC a apparemment voulu s'adapter à notre côté féminin en ajoutant un sac pochette à notre uniforme. Ce sac contenait un étui et une pochette pour les menottes. On a longtemps fait valoir que c'était difficile de trimbaler cela dans un véhicule de police.

C'était toujours après les heures de travail qu'on allait faire ajuster nos uniformes; on se rendait dans les magasins faire prendre nos mesures. Et puis un jour, j'ai appris que les femmes auraient aussi un ceinturon-baudrier avec un étui à pistolet. On avait enfin réussi à convaincre les autorités que porter un sac pochette au travail n'était pas pratique!

Bev Busson : Un souvenir plutôt anodin, mais auquel je repense avec le sourire, c'est quand on devait décider si on allait porter notre chapeau avec ou sans rabats. On suivait notre formation pendant l'hiver, alors on avait reçu des chapeaux de fourrure avec des rabats pour protéger nos oreilles. Tous ceux et celles qui sont passés par la Division Dépôt s'en souviendront, le mot « uniforme » était pris au pied de la lettre et tout le monde devait être exactement pareil, jusqu'aux chapeaux. On se réunissait donc dans le couloir chaque matin pour déterminer ensemble si c'était une journée avec ou sans rabats.

Donna Morse : Je me souviendrai toujours du soutien des autres cadettes de la troupe. Bien sûr, des problèmes sont parfois survenus au sein du groupe, mais quand ils s'aggravaient, on se soutenait les unes les autres pour trouver une solution. C'était essentiel qu'on soit soudé pour traverser la formation. Ça fait 50 ans maintenant et ce soutien et cette solidarité entre femmes sont toujours présents.

Avez-vous eu des difficultés à surmonter au sein de la troupe?

La troupe 17, la première composée uniquement de femmes, a fait son entrée à la Division Dépôt en 1974. Il s'agit d'un moment marquant de l'histoire de la GRC.

Patricia Clark : Je sentais que tout le monde avait les yeux rivés sur nous. Les instructeurs, les policiers, le public, les troupes masculines, tous surveillaient ce qu'on mangeait, ce qu'on disait et ce qu'on faisait pendant la formation. On avait l'impression d'être scrutées à la loupe.

Karen Adams : Avec le recul, je pense que la première troupe féminine a vu le jour en réponse au mouvement féministe des années 1970 et aux pressions publiques exercées sur la GRC. L'organisation pensait peut-être qu'on finirait par partir pour fonder une famille, mais on est restées et on a transformé les façons de faire.

Donna Morse : Il était difficile d'être traitées différemment. On ne voulait pas que les policiers masculins aient l'impression qu'on recevait un traitement de faveur ou que les normes avaient été abaissées pour nous. Et une fois dans les détachements, il nous fallait encore prouver aux autres policiers qu'on méritait notre place.

Bev Busson : En quittant la Division Dépôt, on savait que notre troupe serait dissoute. Dans les différents détachements où on était affectées, on avait peur d'être traitées comme des maillons faibles ou de ne pas être considérées comme des membres à part entière. Lorsque le sac pochette a été retiré de notre uniforme, ça nous a aidées à gagner un peu de crédibilité, à mon avis. Parce qu'on était les premières femmes à franchir les portes des détachements, on avait presque l'impression de devoir surcompenser pour prouver notre valeur.

Après votre formation, où avez-vous été affectée?

Le 16 septembre 1974, 32 Canadiennes ont écrit une page d'histoire en devenant les premières cadettes assermentées de la GRC. Elles formaient alors la troupe 17.

Karen Adams : J'ai été affectée à Thompson (Manitoba), un détachement isolé du Nord. Mon instructeur et mon équipe m'ont bien accueillie, mais j'ai parfois eu du mal à m'intégrer. Les hommes avaient des toilettes et un vestiaire pour eux, et moi, non. Il fallait se prouver à soi même et prouver aux autres membres qu'on était capable de faire le travail.

Patricia Clark : J'ai d'abord été envoyée à Selkirk (Manitoba). Les membres y avaient tous à peu près mon âge. C'était un secteur difficile, mais les hommes de l'équipe m'ont pour la plupart soutenue. Pendant les quarts de nuit, je me souviens qu'ils étaient toujours curieux de travailler avec moi pour voir ce dont j'étais capable.

Donna Morse : Mon premier détachement a été Port Alberni, sur l'île de Vancouver. À l'époque, Port Alberni était une ville frappée par la délinquance. Trois semaines après mon arrivée, je me suis retrouvée seule un samedi occupé, et j'ai fini par me battre et j'ai arrêté un malfaiteur bien connu. C'était assez violent. L'homme m'étranglait, mais j'ai tenu bon. Lorsque les autres policiers ont vu que je l'avais arrêté, ils ont été stupéfaits, parce qu'ils auraient normalement envoyé deux ou trois agents pour arrêter ce type. Je me suis sentie chanceuse d'avoir pu faire mes preuves si rapidement.

Bev Busson : Je me suis retrouvée à Salmon Arm (Colombie-Britannique). J'ai appris plus tard que j'étais censée être affectée à un autre détachement, mais que le sergent d'état-major de l'endroit ne voulait pas d'une femme dans son équipe. Celui de Salmon Arm, par contre, qui avait deux filles, s'est levé et a dit qu'il veillerait à ce qu'on me donne une chance, par souci d'équité. Comme première expérience, c'était très bien, les gens me soutenaient et me faisaient sentir que je faisais partie de l'équipe. J'étais prête à me surpasser.

Y a-t-il un poste qui vous a marqué au cours de votre carrière?

Bev Busson : J'ai aimé les services généraux, ça m'a permis d'apprendre beaucoup sur la police. Mais comment ne pas mentionner le temps où j'ai été commandante de la Division E, puis commissaire? J'ai parfois de la difficulté à croire que j'ai occupé ces fonctions. Quand j'étais commissaire, je regardais l'intérieur de mon bureau et je me disais : « Ce sont les photos de mes enfants qui sont accrochées aux murs! ». Il était très réconfortant pour moi de me savoir soutenue dans mon style de leadership comme commandante et comme commissaire.

Donna Morse : Je me souviens d'une affectation en 1977. J'ai eu l'occasion de me rendre à Hong Kong travailler avec la police locale concernant l'extradition d'un couple mêlé au trafic d'héroïne. La police de Hong Kong n'avait jamais vu une policière de la GRC. J'ai été honorée de pouvoir ainsi représenter l'organisation.

Karen Adams : Quand j'ai quitté la Division Dépôt, j'ai su que je voulais y retourner comme instructrice. J'ai persévéré et, en 1988, j'ai été l'une des huit femmes promues et choisies pour y travailler. J'y ai effectué deux affectations. À ma deuxième, j'ai obtenu une maîtrise en éducation des adultes à l'université de Regina. Cinq jours après l'obtention de mon diplôme, l'université MacEwan d'Edmonton m'engageait comme enseignante dans son programme d'application de la loi. J'ai pris ma retraite après 28 ans de service et j'ai enseigné 11 ans à l'université MacEwan.

Patricia Clark : La GRC m'a offert des possibilités fantastiques. Je me suis aventurée hors du Manitoba à plusieurs reprises et j'ai eu la chance d'aller aux Jeux olympiques de Calgary, à un cours d'équitation à Ottawa et aux Jeux panaméricains, mettant ainsi de l'avant les femmes dans le milieu policier partout dans le monde. À l'étranger, on me demandait parfois quand la GRC avait commencé à recruter des femmes. Je voyais les visages surpris de mes interlocuteurs quand je leur donnais la date exacte, la connaissant bien pour avoir été moi-même là quand tout a commencé!

Quelles qualités retrouve-t-on chez un bon policier?

Patricia Clark : Ce qui fait un bon policier, c'est le respect de soi-même et le respect du public. Il faut savoir écouter, même si on pense qu'on sait déjà quelque chose, et être prêt à entendre ce que les gens ont à dire.

Karen Adams : La maturité et l'expérience de la vie sont importantes, qu'on soit un homme ou une femme. Il faut aussi faire preuve de résilience et être capable d'encaisser les coups, parce qu'on fait face à toutes sortes de difficultés.

Donna Morse : Je suis d'accord avec Karen. La maturité et la compréhension du monde sont des qualités importantes. Il est essentiel d'avoir une certaine expérience de la vie parce que le travail policier peut être difficile. J'ajouterais aussi l'empathie. Il faut avoir une compréhension empathique des gens; leurs parcours sont très différents les uns des autres.

Bev Busson : Un bon policier, c'est quelqu'un qui se soucie des autres. Je sais que cela peut paraître cliché, mais les personnes qui sont motivées et qui ont à cœur de changer les choses font des membres exceptionnels. J'ajouterais que le sens de l'humour est un atout précieux.

Quatre retraitées de la première troupe féminine de la GRC : la caporale Karen Adams, la gendarme Patricia Clark, la commissaire Bev Busson et la caporale Donna Morse. Elles ont ouvert la voie à l'égalité des chances dans les carrières policières partout au Canada.

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