Vol. 77, Nº 3Reportages

Contre le froid, plus de chaleur humaine

Adaptation et soutien mutuel dans le Nord canadien

Le cap. Jessie Gilbert affirme que bâtir un réseau de soutien avec d'autres membres de la GRC et leurs familles a été déterminant pour l'aider à répondre aux exigences du travail policier en région subarctique. Crédit : Gend. Elenore Sturko

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Pour un policier de la GRC, être affecté à un poste isolé dans le Nord canadien est une occasion unique : celle, bien souvent, de pouvoir participer aux activités de la communauté et à des manifestations culturelles qui n'ont lieu nulle part ailleurs.

Dans ces régions du Canada, la chasse, la pêche et la motoneige font partie des mœurs. Nombre de ceux qui choisissent de travailler dans le Nord troquent volontiers certains agréments comme l'accès à des centres commerciaux ou à des salles de cinéma contre un mode de vie en plein air.

Au chapitre de la santé mentale et du stress professionnel, cependant, l'absence de services peut poser problème.

Le cap. Jessie Gilbert est depuis dix ans en poste aux Territoires du Nord-Ouest. Durant cette période, il a exercé ses fonctions dans cinq communautés établies au nord du 60e parallèle.

« Dans le Nord, le membre qui vit une période de stress — que ce soit en raison d'ennuis personnels, de tracas liés au travail ou d'un incident critique — doit être pas mal plus proactif et conscient de soi pour pouvoir passer au travers, explique le cap. Gilbert. Ici, il n'y a pas de resto, pas d'association sportive, pas de salle de conditionnement physique ni de cinéma pour se divertir. Si tu traverses une mauvaise passe, il n'y a pas moyen de fuir. »

Rares sont les lieux d'affectation dans le Nord qui sont dotés de services de counseling fournis par une personne sur place. Toutefois, les membres de la GRC peuvent obtenir de l'aide par téléphone 24 heures sur 24 grâce au Service d'aide aux employés (SAE) de Santé Canada.

Le membre qui est en difficulté peut parler sans délai à un conseiller qualifié en intervention d'urgence, et il peut être adressé à d'autres spécialistes pour une aide suivie. Là où les rendez-vous en personne ne sont pas possibles, la consultation peut se dérouler par téléphone ou par communication vidéo.

Les séances de consultation données par le SAE se veulent une aide de courte durée pouvant totaliser un maximum de huit heures pour chaque problème soulevé par le membre. Les thérapies de plus longue durée sont offertes par les Services de santé de la GRC. Au besoin, des déplacements peuvent être organisés pour la prestation de services en dehors de la communauté.

Élaborer des stratégies d'adaptation est une façon pour les membres d'alléger le poids du stress avant de se trouver en situation de crise en santé mentale. La stratégie d'adaptation adoptée par le cap. Gilbert a consisté à mettre sur pied un réseau de soutien.

« Ce qui m'est apparu le plus important a été de nouer contact sans tarder avec les autres membres de la GRC, précise-t-il. On a commencé à tisser un réseau au sein de la communauté, un réseau composé de personnes vers qui se tourner, de nouveaux amis. Sans de tels rapports humains, on risque fort de se sentir isolé. »

Le cap. Gilbert raconte comment sa stratégie d'adaptation a été mise à l'épreuve lorsque, affecté à Tulita, où vivent les Dénés, une communauté de 650 âmes installée sur la rive du fleuve Mackenzie, il a dû gérer une situation de confrontation armée.

« Lorsque quelque chose tourne mal, ça peut prendre des heures avant que les renforts arrivent. Ce genre de demande d'intervention peut être vraiment très stressant », commente-t-il.

Une fois la confrontation terminée, des membres de la communauté ont organisé un repas de viande d'orignal dans l'église locale en gage de reconnaissance.

« C'est ce type de lien avec la population qui m'a aidé à supporter les expériences stressantes comme celle-là », confie-t-il.

Les affectations dans le Nord présentent tout de même un avantage unique en matière de santé mentale : celui d'habiter dans un logement de l'État à proximité d'autres familles et des installations du détachement, ce qui veut dire pas de navettage entre le lieu de travail et le foyer.

« Ça nous donne plus de temps à passer avec notre famille, dit-il. Par ailleurs, il n'est pas rare qu'après notre quart, on bavarde avec les membres avec qui on a travaillé toute la journée. Il règne ici un puissant esprit de corps. »

Lorsqu'il jette un regard rétrospectif sur ses années de service dans le Nord, le cap. Gilbert est empli d'un sentiment de satisfaction et de confiance en l'avenir.

« Au cours de mes dix dernières années de service, d'importants progrès ont été faits en ce qui touche la santé mentale, analyse-t-il, mais je crois que nous avons encore un bon bout de chemin à faire pour mettre en place des programmes concrets. »

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