Vol. 81, Nº 3Débat de spécialistes

Un policier en civil à l'extérieur, debout près d'un véhicule.

Comment innover dans le travail policier?

Des agents de la GRC à Red Deer (Alberta) font de la surveillance en civil dans le cadre de leur travail au sein de l'équipe de réduction de la criminalité. Crédit : RCMP

Quand on pense à l'innovation, ce sont souvent les percées dans les domaines de la science et de la technologie qui viennent à l'esprit. Mais innover, c'est aussi améliorer. Nous avons consulté cinq employés de la GRC sur la façon d'innover dans les techniques et les initiatives pour améliorer les services policiers, et sur la façon de mettre en pratique des idées prometteuses.

Les spécialistes

  • Surint. Gerald Grobmeier, officier responsable, Détachement de Red Deer (Alberta)
  • Simon Baldwin, gestionnaire, Recherche opérationnelle, Services de police contractuels et autochtones, Ottawa (Ontario)
  • Surint. Shelly Dupont, chef du District du Nord-Est, Bathurst (Nouveau-Brunswick)
  • Insp. Mitch Monette, Peloton de protection du premier ministre, Ottawa (Ontario)

Surint. Gerald Grobmeier

Aujourd'hui, toutes les entreprises se posent les mêmes questions. Comment innover davantage et mieux utiliser les ressources que nous avons déjà?

C'est pareil dans le milieu policier. Le coût des services préoccupe chaque maire, conseil municipal, commission de police et citoyen. Chercher à économiser et à mieux travailler fait partie des devoirs exigés de nous. En cette ère d'austérité, l'ajout de ressources n'est pas toujours la solution. Il faut optimiser l'utilisation de celles qu'on a avant d'en demander d'autres.

En 2016, la Ville de Red Deer se classait au deuxième rang des villes canadiennes de plus de 15 000 habitants ayant l'indice de gravité de la criminalité (IGC) le plus élevé, à cause des crimes contre les biens et des vols qualifiés notamment. Comment pouvait-on changer les choses sans espoir de ressources supplémentaires? Il fallait trouver un moyen.

La réponse du Détachement de Red Deer a été de mettre sur pied le programme PINPOINT comme première partie de sa stratégie de réduction de la criminalité.

PINPOINT utilise des ressources déjà en place, mais les oriente vers un même objectif : réduire les crimes contre les biens.

Des analystes de renseignements criminels recensent les secteurs chauds, les résidences souvent ciblées, les multirécidi-vistes, les personnes qui ne respectent pas les conditions établies à leur endroit et les clients qui ont besoin d'une aide dépassant les capacités de la police.

Des réunions mensuelles ont lieu avec tous les chefs de section. Les personnes et les lieux d'intérêt sont attribués à des policiers aux fins d'intervention et de compte rendu.

Cette méthode nous permet d'utiliser nos ressources de façon plus efficace et stratégique, pour cibler des crimes, des heures, des personnes et des secteurs précis. Elle connaît beaucoup de succès partout en Alberta.

Pour piloter la réalisation d'une idée nouvelle, il faut des gens passionnés.

Il faut aussi que les instances dirigeantes leur permettent de prendre des risques raisonnables. En continuant à faire la même chose, on obtient toujours les mêmes résultats.

La mise en œuvre d'une nouvelle stratégie exige patience et persévérance. La recherche et la planification constituent également des facteurs de succès essentiels.

À Red Deer, il nous a fallu cinq mois pour introduire PINPOINT. Nous voulions nous assurer de bien faire les choses et avons passé d'innombrables heures à expliquer le programme et à le modifier en fonction des commentaires reçus. Son lancement n'a donc suscité que peu de résistance. Nous avons su montrer aux membres que nous ne leur demandions pas d'étirer les ressources, mais de travailler autrement. Ils ont aussi pu voir l'élan que créent les gains rapides.

La communication reste essentielle. L'exploitation efficace des compétences du personnel en place contribue à l'essor de toute innovation.

Je suis heureux de dire qu'en 2017, nous étions tombés au cinquième rang pour l'IGC, et qu'en 2018, les crimes contre les biens avaient baissé de 28 p. 100 à Red Deer.

Simon Baldwin

Compte tenu de l'importance qu'accorde la commissaire de la GRC à la prise de décisions judicieuses, l'organisation doit absolument chercher des moyens innovants d'utiliser les données opérationnelles dans l'élaboration de politiques, de formations et d'équipement, surtout pour assurer la sécurité des policiers et réduire les risques auxquels ils sont exposés en première ligne.

La création du Groupe de la recherche opérationnelle fournit un soutien en matière de recherche à tous les programmes des Services de police contractuels et autochtones (SPCA), dont ceux du recours à la force, des groupes tactiques d'intervention et de la prévention du crime. Nous recrutons des chercheurs étudiants doués et collaborons avec des experts dans le cadre de partenariats stratégiques et durables avec le milieu universitaire.

Ces partenariats, notamment avec le laboratoire de recherche policière de l'Université Carleton, ont favorisé l'expansion de la capacité de recherche des SPCA et une rigueur accrue dans les méthodes et les analyses, y compris pour les comparaisons entre les sexes. Ils ont aussi permis d'obtenir un important financement externe à l'appui de la recherche opérationnelle.

Chaque année, nous recrutons grâce à cette collaboration des étudiants en cours de stage pratique, d'étude dirigée ou de rédaction de thèse qui viennent travailler à temps partiel à divers projets et priorités de recherche des SPCA.

Ces étudiants ont participé à des initiatives utiles qui ont fourni la base factuelle nécessaire à de nombreuses améliorations pour les policiers : des étuis permettant un dégainage plus rapide, des aérosols capsiques plus concentrés et de l'équipement de protection individuelle plus sûr.

Le modèle de collaboration intégrée en matière de recherche offre également un excellent moyen de recruter des étudiants de talent qui désirent un poste à temps plein. Beaucoup se trouvent ainsi une place à la GRC comme fonctionnaires, répartiteurs ou policiers; j'en fais d'ailleurs partie. Plusieurs continuent de collaborer avec la GRC pendant leurs études de deuxième cycle.

Il en a résulté un vaste réseau de personnes compétentes dans l'organisation et dans le milieu universitaire qui ont une bonne connaissance pratique des enjeux policiers. Autre point important : ce modèle permet d'offrir des possibilités d'études à nos employés pour qu'ils deviennent « prathéoriciens » (à la fois praticiens et théoriciens) du milieu policier.

Nous nous sommes aussi employés à améliorer l'accessibilité et l'intégrité des données.

Pour ce faire, nous avons notamment modernisé nos outils de compte rendu, dont les formulaires, afin que l'information utile sur le plan opérationnel soit saisie de manière à être accessible et à pouvoir être analysée à l'échelle nationale.

Prenons le système national de rapports sur le comportement du sujet et l'intervention de l'agent, que la GRC utilise pour rendre compte des cas de recours à la force. Les données de ce système servent à élaborer toutes les politiques, les formations et les initiatives d'équipement en la matière. Par exemple, l'analyse des taux de blessure chez les policiers a joué un rôle clé dans l'établissement et la mise à jour de la formation en bloc destinée aux policiers.

Nous avons mis au point pour cette formation des scénarios fondés sur les facteurs qui entrent le plus souvent en jeu dans le travail policier. Ainsi, la formation colle autant que possible aux réalités du terrain. L'analyse des fusillades mettant en cause des policiers contribue de la même façon à l'élaboration et à l'évaluation de la formation au tir.

Finalement, les SPCA cherchent à améliorer la capacité des employés et des cadres supérieurs de consommer et d'interpréter des données opérationnelles, y compris au moyen de tableaux de bord présentant les dernières tendances extraites de notre système opérationnel.

Nous avons par ailleurs commencé à utiliser un système de cartographie électronique interactive pour visualiser la répartition des incidents critiques, de l'équipement opérationnel et des membres formés à son utilisation dans l'ensemble du pays. Ces données factuelles permettent aux provinces et aux détachements de prendre des décisions judicieuses en fonction des risques.

Surint. Shelly Dupont

Tout le monde ne voit pas l'innovation du même œil. Pour certains, elle consiste en la mo-dernisation des technologies, de l'équipement et des outils; pour d'autres, en l'amélioration des méthodes, des politiques (opérationnelles ou administratives) et du droit.

Il peut s'agir de la création de lieux de travail virtuels qui optimisent la répartition des demandes de service, ou bien de l'abandon des interventions réactives au profit d'outils de prédiction et d'analyses de la criminalité qui permettent de déployer les ressources policières et les services sociaux plus tôt, dans une perspective de réduction et de prévention du crime.

Pour moi, l'innovation dans le travail policier, c'est tout cela et plus encore. C'est une idée ou une possibilité qui se concrétise par l'action. C'est le processus de création qui transforme un problème en solution permettant d'atténuer, voire d'éliminer la difficulté initiale.

Le succès d'une innovation requiert souvent un saut dans l'inconnu. Il s'agit de faire un examen critique de l'outil, de l'équipement, du processus ou de la politique qui cause des problèmes ou de la frustration, puis de se rendre compte qu'un changement s'impose.

Il faut la participation de beaucoup de personnes, ainsi qu'une culture de soutien et d'ouverture à la nouveauté. Pour qu'un changement s'opère, nous devons tous nous approprier notre organisation et l'uniforme que nous portons ou soutenons par notre travail.

Au Nouveau-Brunswick, nous voyons l'innovation comme un jumelage de la pensée et de l'action qui mène à des résultats positifs. C'est l'intérêt porté à la nouveauté, qu'elle tienne de l'évolution ou de la révolution.

Dans cette optique, la GRC au Nouveau-Brunswick a créé un réseau d'innovation formé d'experts venant de ses rangs qui peuvent examiner et appuyer des propositions de modernisation et de rationalisation.

Le but est d'instaurer une culture qui permet de recueillir, de travailler et de mettre au service de l'organisation entière les idées de ses propres employés, c'est-à-dire des personnes qui la connaissent le mieux, qui s'en soucient et qui s'investissent dans son succès.

Le système de rapports sur l'état des activités est un bel exemple de l'innovation qui se fait ici. En améliorant notre système de rapports pour faire la saisie de toutes les activités opérationnelles et administratives, nous pouvons mieux assurer la sécurité des membres et répartir les ressources en fonction des besoins les plus pressants.

Innover, ce n'est pas seulement introduire de nouvelles idées captivantes. C'est un travail essentiel pour optimiser l'interfonctionnement des diverses composantes de notre organisation afin de fournir le meilleur service de police possible aux collectivités que nous servons.

La société a changé, et les réalités du terrain aussi. Les méthodes policières doivent évoluer en conséquence, et nous avons déjà la clé de cette adaptation : nos gens.

L'innovation policière, elle vient de nos employés, autant le gendarme dans un petit détachement que la fonctionnaire qui contribue par son travail quotidien à la sécurité de sa famille de la GRC. C'est en les outillant et en mettant à profit leur ingéniosité qu'on grandit et qu'on évolue.

Insp. Mitch Monette

Le mot « innovation » s'emploie un peu à toutes les sauces de nos jours. Pour la plupart des gens, il est synonyme du recours aux nouvelles technologies. Dans une organisation aussi grande que la nôtre, il peut cependant être difficile d'apporter des changements généraux, puisque les réalités opérationnelles varient beaucoup d'une province à l'autre.

Mon boulot à moi consiste depuis quelques années à assurer la sécurité du premier ministre, ce qui est très différent du travail de la majorité des autres employés de la GRC, j'en conviens. Mais il appartient à chacun de remettre en question le statu quo, quel que soit son travail.

Au Peloton de protection du premier ministre (PPPM), nous apportons ici et là de petits changements qui ont des retombées sur notre équipe.

Par exemple, nous abordons la protection dans le souci de l'adapter au programme du client et aux menaces en présence, par une gestion plus souple des ressources.

Nous donnons aussi un rôle plus actif aux employés dans la prise de décisions. C'était difficile au début, parce que tout le monde était habitué à la même méthode opérationnelle. Nous misons beaucoup sur l'aide de notre groupe du renseignement pour nous adapter aux menaces réelles.

Nous essayons aussi d'innover dans notre façon de travailler avec les clients. Il y a quelques mois, nous avons fait visiter nos installations au premier ministre, puis à son personnel, afin qu'ils comprennent mieux nos activités, ce qui nous permet de fournir des services de protection rapprochée impeccables. Partager la responsabilité de la sécurité du premier ministre avec son cabinet, c'est bien loin de l'ancienne mentalité voulant que la GRC s'occupe de tout.

Nous travaillons à toutes sortes d'innovations technologiques aussi.

Quel que soit le sens qu'on lui donne, l'innovation comporte parfois des risques, puisqu'il faut s'avancer en terrain inconnu. L'embrasser sous toutes ses formes améliore nos modes de fonctionnement.

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