Vol. 81, Nº 1Reportages

Female police officer working behind a desk.

Le chemin de la guérison

Fusillades au Nouveau-Brunswick : la clé est d'en parler

Policière travaillant à un bureau. Crédit : Serge Gouin, GRC

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Quand la GRC a lancé le cours pilote En route vers la préparation mentale (RVPM) au Détachement de Codiac (Nouveau-Brunswick) en 2013, peu de gens l'ont pris au sérieux. La fusillade de 2014 à Moncton qui a coûté la vie à trois membres de la GRC est venue profondément changer le dialogue sur la santé mentale.

« Tout le monde s'en est ressenti. Il était impossible de ne pas en parler », se souvient Sheri Dryden, conseillère en condition physique et en promotion de la santé de la GRC au Nouveau-Brunswick. Elle dit que davantage d'employés décrivent maintenant leurs émotions à l'aide du tableau présenté lors du cours RVPM, où le vert, le jaune, l'orange et le rouge illustrent le passage progressif de la santé à la maladie.

« Au lieu de dire qu'on est déprimé, anxieux ou en manque de sommeil, on peut juste dire qu'on est orange », souligne Mme Dryden. « On peut ainsi parler de sa santé mentale sans malaise. »

Commencer à en parler

Heading 3Comme bien des policiers, le serg. J. P. MacDougall se sent parfois dépassé. En août dernier, il était parmi les premiers agents de la GRC arrivés sur les lieux où un tireur faisant feu par la fenêtre d'un appartement a tué quatre personnes, dont deux policiers de Fredericton.

« On commence à se rendre compte qu'il est acceptable de se sentir mentalement épuisé. Il faut commencer à en parler pour briser les tabous autour du sujet », estime le serg. MacDougall, chef du Détachement de Woodstock de la GRC. « Ce qui est inacceptable, c'est de se taire, de tout refouler et d'attendre que le problème s'aggrave. »

Il compare les épreuves à des gouttes d'eau qui tombent jusqu'à ce que le vase déborde et qu'éclate une crise de santé mentale.

« Quand on fait face à ses sentiments négatifs, on retire de l'eau du vase, explique-t-il. De tous les incidents pénibles que j'ai vécus, ceux qui ne me hantent pas sont ceux dont j'ai parlé. »

La gendarme retraitée Peggy Delisle a été dépêchée sur les lieux de nombreuses tragédies routières et a été témoin de décès horribles au cours de ses 15 ans à la GRC.

« On n'a pas le temps d'assimiler ce qu'on vient de voir avant de passer à la prochaine tâche », constate-t-elle. « On met ça dans un petit tiroir et on n'y pense plus, jusqu'au moment où un drame ramène tout à la surface. »

Quand un troisième membre de sa connaissance est décédé au travail, lors de la fusillade de Moncton, la gend. Delisle s'est mise à avoir des flashbacks, des cauchemars, des crises de panique et des sentiments de colère, d'irritabilité et de méfiance. « Le monde était soudain dépourvu de couleur. »

Ses séances avec un thérapeute de la clinique pour traumatismes liés au stress opérationnel de Fredericton, un centre indépendant spécialisé dans la santé mentale des policiers, l'ont aidée à s'en sortir.

« Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d'une bonne crise de larmes », dit-elle en riant. « Bien des gens y voient une faiblesse, mais c'est tout le contraire. »

S'autoévaluer

Chez la cap. Lynn Saulnier, superviseure au sein du Groupe de continuation d'enquête du Détachement de Codiac de la GRC, un seul incident a fait ressurgir des émotions liées à des problèmes personnels qui duraient depuis des mois. Le soir de juin en question, elle cherchait le tireur de Moncton, l'arme à la main.

Elle ne l'avait toujours pas rengainée quand elle a appris par communication radio, huit heures plus tard, que deux policiers de son équipe avaient été tués.

« J'ai mis ça de côté parce que j'avais un travail à faire », dit-elle. Une fois le choc passé, elle s'est sentie vide et fâchée.

« C'était comme si je tournais en rond. Tout à coup, je n'arrivais plus à accomplir des tâches ordinaires. »

Quand elle s'est rendu compte qu'elle glissait vers l'extrémité inquiétante du continuum de la santé mentale, elle a reconnu avoir besoin d'aide.

« On n'est plus condamné au cachot du silence », souligne-t-elle en parlant des échanges qu'elle a eus au sujet de son deuil avec un thérapeute et des amies proches.

La cap. Saulnier croit que ce traumatisme renforce sa crédibilité comme animatrice du cours RVPM. Elle aide maintenant les autres à reconnaître la couleur qui leur correspond — et à savoir quand demander de l'aide.

« Les gens savent que je suis passée par là, que je ne parle pas à tort et à travers.

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