Cinq raisons supplémentaires de ne pas conduire en état d’ébriété – récits personnels d’agents de la GRC

La conduite avec facultés affaiblies est la principale cause criminelle de décès au Canada. Lorsque des accidents surviennent sur nos routes, les agents de la GRC sont souvent les premiers intervenants. Ils peuvent donc constater à quel point la décision de conduire en état d’ébriété peut avoir des conséquences tragiques. Ils sont aussi témoins de la douleur des familles lorsqu’elles apprennent le décès d’un être cher.

Des agents de la GRC du Canada atlantique évoquent les accidents qui les ont marqués et qui ont aussi touché les personnes et les collectivités concernées. Il s’agit de récits personnels des événements qui sont survenus. Les agents de police n’oublient jamais ces accidents mortels; c’est ce qui arrive lorsqu’une personne prend le volant après avoir consommé de l’alcool.

La conduite en état d’ébriété est un choix. Ces agents espèrent que leurs récits permettront d’épargner une ou plusieurs vies.

Gendarme Donnie Robertson - Nouveau-Brunswick

« Quatre personnes étaient dans la voiture et une seule a survécu »

Dans le milieu policier, on nous apprend à prévoir l’imprévisible, à toujours être vigilants et à être conscients de ce qui se passe autour de nous. L’importance de cette formation m’a frappé de façon inattendue pendant les premières années à la GRC.

C’était un soir de novembre et, pour cette période de l’année, il faisait beau. Il n’avait toujours pas commencé à neiger. J’ai été dépêché sur les lieux d’une sortie de route. À mon arrivée sur les lieux, l’automobile accidentée était sur ses quatre roues. Quand les premiers intervenants sont arrivés, le jeune homme qui était à l’intérieur était toujours vivant, mais ils n’ont malheureusement pas réussi à le sauver.

En tant que policier, il était de mon devoir d’enquêter sur l’origine de l’accident qui avait causé la mort du jeune homme. Pendant que j’évaluais la situation avec un collègue, nous avons entendu un bruit qui semblait provenir du bois en bordure de la route. Toutes les personnes présentes ont pointé leur lampe de poche vers les arbres.

J’ai avancé de quelques mètres dans le bois et j’ai vu un homme qui était grièvement blessé. Pendant que je demandais de l’aide et que j’informais les autres que j’avais trouvé quelqu’un, nous avons trouvé un autre jeune homme, immobile. Il était mort. En levant les yeux, j’ai aperçu un autre homme, dans le faisceau de ma lampe de poche, à quelques mètres de moi. Il avait lui aussi succombé à ses blessures. J’ai tout de suite pris conscience de l’ampleur de cet accident; quatre hommes prenaient place dans la voiture, mais un seul d’entre eux avait survécu. Il est resté dans le coma pendant plusieurs jours et ne se souvient pas de ce qui est arrivé.

L’enquêteur chargé de la reconstitution des collisions a déterminé que l’automobile avait manqué un virage, quitté la route et percuté un ponceau. Le véhicule avait plané sur une distance d’environ 60 mètres (200 pieds). Aucun des passagers ne portait sa ceinture de sécurité et trois d’entre eux ont été éjectés du véhicule, puis ont atterri une trentaine de mètres (100 pieds) plus loin dans le bois. Un seul d’entre eux a survécu. L’enquête a révélé que l’alcoolémie des quatre hommes était supérieure à la limite légale.

Ce tragique incident a amené les habitants de la petite collectivité rurale où résidaient ces jeunes hommes dans la vingtaine à se demander comment une chose pareille avait pu se produire.

En 15 ans à la GRC, je me suis rendu sur les lieux de nombreux accidents causés par la conduite avec facultés affaiblies. Chacun est terrible à sa façon, mais dans tous les cas, ils auraient pu être évités. Au fond, il s’agit d’une question de choix : prendre ou non le volant après avoir consommé de l’alcool.

Cap. Janet Leblanc - Nouvelle-Écosse

« Un des hommes a survécu et l’autre est décédé »

Je travaillais dans le comté de Lunenburg lorsque la GRC a reçu un appel l’informant qu’un véhicule avait frappé une ambulance stationnée. Pendant que le personnel des Services médicaux d’urgence s’occupait d’un patient dans une résidence, un voisin du patient avait frappé l’ambulance, et on nous demandait d’aller sur les lieux.

Pendant que nous intervenions relativement à la collision avec l’ambulance, la GRC a également reçu un appel au sujet d’un conducteur impliqué dans une sortie de route. Malheureusement, ce conducteur, qui était seul à bord de son véhicule, n’a pas survécu à ses blessures et est décédé sur les lieux.

Même s’il n’est pas inhabituel que la GRC reçoive plusieurs appels au même moment, je n’oublierai jamais les tristes liens entre ces deux cas.

Pendant notre enquête sur la collision avec l’ambulance, nous avons découvert que le conducteur avait les facultés affaiblies au moment de la collision. L’homme a déclaré qu’il avait passé la soirée à boire avec un ami dans un établissement local et il a fourni le nom de son ami aux enquêteurs.

Triste ironie du sort, notre enquête sur l’autre cas a révélé que le conducteur ayant fait une sortie de route était en fait l’ami avec qui le conducteur ayant frappé l’ambulance avait passé la soirée. Quand j’ai eu à annoncer au survivant que son ami était décédé, il s’est presque écroulé de chagrin.

Après leur journée de travail, deux amis vont prendre un verre dans un bar, puis ils décident de prendre le volant pour retourner chez eux même si leurs facultés sont affaiblies. Chacun part de son côté. Les deux sont impliqués dans un incident routier, à quelques minutes d’intervalle un de l’autre. Un des hommes a survécu et l’autre est décédé.

Je me souviendrai toujours de la douleur sur le visage de l’homme lorsque j’ai eu à lui annoncer le décès de son ami. J’ose espérer que cette tragédie l’a empêché à jamais de conduire en état d’ébriété… parce que si cela n’a eu aucun effet sur lui, qu’est-ce qui pourrait le convaincre de ne pas prendre le volant après avoir bu?

La caporale Janet LeBlanc est membre de la GRC depuis 18 ans. Depuis 1997, elle a travaillé dans trois districts de la Nouvelle-Écosse.

Gendarme Vanessa DeMerchant - Nouveau-Brunswick

« Je n’oublierai jamais le cri du père »

J’étais à quelques semaines de célébrer mon quatrième anniversaire comme membre de la GRC. J’avais déjà acquis de l’expérience dans divers domaines, mais j’étais loin de me douter de l’expérience que j’allais vivre tard un soir d’octobre. J’avais reçu une affectation dans un endroit isolé où les collectivités sont très unies en raison de leur éloignement. C’était près de l’une d’entre elles que j’ai été dépêchée sur les lieux de mon premier accident causé par la conduite avec facultés affaiblies, accident dans lequel une personne a perdu la vie.

Il était une heure du matin et notre répartiteur m’a dit qu’un seul véhicule avait heurté une paroi rocheuse en bordure de la route et qu’une personne était coincée à l’intérieur. Ce que j’ai vu en arrivant sur les lieux de l’accident était tout autre. L’automobile était en feu et il semblait y avoir toujours un passager à l’arrière. Malheureusement, je n’ai rien pu faire. Le feu brûlait intensément et la voiture entière était dévorée par les flammes. J’ai vite cherché les alentours, mais n’ai pas réussi à trouver le conducteur ou un quelconque autre passager.

Une foule a commencé à se rassembler pour voir ce qui s’était passé. Il s’agissait de personnes de la collectivité avoisinante où vivait la jeune victime. Après qu’elles se sont dispersées, un homme est arrivé sur les lieux, totalement éperdu. Il y a des éléments de cette soirée que je n’oublierai jamais, mes sens semblant tous avoir été touchés. Je peux toujours sentir l’intensité du feu, l’odeur de brûlé, mais ce que je n’oublierai jamais, c’est le cri du père lorsqu’il est arrivé sur les lieux de l’accident. Il venait de perdre sa fille.

L’enquête a été reprise par l’expert des reconstitutions de collisions de la GRC, comme c’est le cas lorsqu’une collision entraîne des blessures graves ou la mort. J’ai plus tard appris que l’alcool avait contribué à cet accident mortel et que deux autres passagers qui prenaient place dans le véhicule avaient survécu.

Les statistiques sur les blessures et les décès causés par des accidents de la route ont augmenté cette journée-là alors qu’une autre personne a perdu la vie à cause de la conduite avec facultés affaiblies. Ce que les statistiques n’ont pas montré, c’est l’incidence de ces tragédies sur les familles, les collectivités et les premiers répondants. Elles n’ont pas reflété le chagrin et l’angoisse qu’ont vécus les familles et les collectivités touchées par cet accident. Jamais je ne l’oublierai, car je connaissais la jeune fille qui est morte cette nuit-là. Nos chemins s’étaient croisés à maintes reprises dans le cadre d’activités communautaires où elle donnait de son temps pour aider sa collectivité. J’ai vu qu’elle avait un brillant avenir devant elle, avenir dont sa collectivité ne pourra jamais profiter.

Gend. Douglas Baker - Île-du-Prince-Édouard

La première chose qu’elle m’a dite, c’est « il y a un corps là-bas »

Mon quart de travail avait commencé comme tous les autres. Au début de la soirée, en cette belle fin de semaine d’été, j’effectuais des contrôles routiers de routine tout en profitant des chauds rayons du soleil. J’étais bien loin de me douter que ma nuit allait connaître un dénouement tragique. Dans l’une des voitures que j’ai interceptées ce soir-là prenaient place un jeune homme au volant, une jeune femme à ses côtés et un autre jeune homme à l’arrière. Après avoir vérifié les papiers, je me suis assuré que personne n’avait bu et que les ceintures étaient bouclées. Les trois jeunes m’ont dit qu’ils se rendaient à une fête.

Je suis monté dans mon véhicule de patrouille en attendant le départ de la voiture, mais la jeune femme en est sortie et a trottiné jusqu’à moi. Par la fenêtre du côté passager, elle m’a demandé si je pouvais les aider, car leur voiture refusait de démarrer. Sans hésiter, j’ai placé mon véhicule nez à nez avec le leur pour effectuer le survoltage, puis je leur ai dit au revoir.

Vers 2 h 30, je reconduisais un membre auxiliaire qui m’avait accompagné durant mon quart. Le trajet se faisait dans le rire et la bonne humeur, comme à l’accoutumée. Nous ignorions encore à ce moment-là l’horreur que nous nous apprêtions à vivre.

Tandis que mon véhicule s’engageait sur une petite route sombre, j’ai vu une voiture immobilisée à une intersection qui convergeait avec le chemin principal, ce qui a piqué ma curiosité. J’ai ralenti, et en m’approchant, j’ai aperçu une femme debout près d’un fossé. Elle semblait en état de choc. La première chose qu’elle m’a dite, c’est « il y a un corps là-bas ».

Je suis sorti de mon véhicule et j’ai vu l’épave d’une voiture dans le fossé profond. Le corps d’une femme gisait sur le sol. Le conducteur s’était extirpé de la carcasse et était allé chercher de l’aide à la maison la plus proche, soit celle de la femme qui se tenait debout près de la voiture accidentée.

C’était la voiture des trois jeunes à qui j’avais donné un coup de main en début de soirée.

Le conducteur répétait encore et encore qu’il n’y avait que lui et sa petite amie à bord, même si je savais fort bien qu’il y avait un autre homme avec eux plus tôt. Un coup d’œil rapide jeté dans les alentours n’a rien révélé.

Ce n’est qu’au petit matin que nous avons trouvé le corps du jeune homme, à une centaine de mètres de là. Il avait été éjecté de la voiture comme une bille que l’on catapulte avec un lance-pierres.

Les deux jeunes étaient morts. Plus tard, on a appris que le conducteur, intoxiqué à l’alcool et à la drogue, s’était assoupi au volant. La seule bonne décision qu’il avait prise ce soir-là, soit de mettre sa ceinture de sécurité, était ce qui lui avait sauvé la vie.

Le matin, il nous a fallu aller porter la terrible nouvelle aux proches des victimes. J’ai été accueilli par le frère de la jeune femme et la mère du jeune homme… ils vivaient ensemble. La famille était venue dans la province pour l’été pour y travailler. Je ne peux qu’imaginer l’ampleur de leur peine.

Deux vies ont été perdues cette nuit-là, et un grand nombre d’autres ont été changées à jamais, y compris la mienne. L’image de la jeune femme trottinant jusqu’à moi et celle de sa dépouille gisant sur le sol continuent de me hanter. Aujourd’hui encore, je me demande ce que j’aurais pu faire différemment pour prévenir cette tragédie. C’est une question qui demeure sans réponse.

Sergent André Pépin - Nouveau-Brunswick

« En tant que mère, elle savait qu’il lui était arrivé quelque chose »

Avec mes 23 années d’expérience comme technicien d’alcootest, j’ai rencontré beaucoup de personnes aux facultés affaiblies. Il n’est pas rare qu’elles me disent « je n’ai pris que quelques verres, monsieur l’agent » pendant que je me prépare à prélever un échantillon d’haleine pour déterminer leur niveau d’incapacité. Cependant, l’alcootest indique souvent qu’elles n’auraient pas dû conduire; elles auraient dû faire un choix plus judicieux, ou quelqu’un aurait dû les empêcher de prendre le volant.

Je n’oublierai jamais la nuit que j’aurais aimé entendre ces mots de la bouche d’un jeune homme. Cela aurait signifié que je l’avais empêché de conduire et qu’il ne se trouvait plus au volant de son véhicule. Au lieu de cela, j’ai l’ai rencontré à l’issue d’un appel lancé au 911. J’ai été dépêché sur les lieux d’un accident impliquant un seul véhicule sur une route rurale secondaire à deux voies. C’était une chaude nuit d’été et la chaussée était sèche. L’appel est arrivé au milieu de la nuit, il était probablement seul sur la route. Ce jeune homme, dans la vingtaine, rentrait chez lui après avoir fêté son anniversaire. Il a perdu le contrôle de son véhicule, qui a quitté la route pour percuter un ponceau.

J’aimerais savoir ce qu’il a pensé et pourquoi il a voulu prendre le volant. J’espère qu’il ne s’est pas dit « je n’ai bu que quelques verres ». Ce jeune homme vivait chez ses parents; c’est moi qui ai dû leur apprendre la mauvaise nouvelle. Je n’oublierai jamais l’expression de sa mère lorsqu’elle m’a demandé « qu’est-il arrivé? » alors que nous nous trouvions sur le pas de sa porte. En tant que mère, elle savait qu’il lui était arrivé quelque chose. Elle savait qu’il était sorti pour célébrer son anniversaire et que lorsqu’elle s’était réveillée ce matin-là, il n’était pas rentré. Au lieu de cela, c’est moi qui me suis présenté chez elle.

Ce n’est jamais facile et il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon d’annoncer à quelqu’un que son fils est décédé. J’aimerais que les gens fassent des choix plus judicieux et qu’ils ne prennent pas le volant après avoir consommé de l’alcool, car je peux vous dire que, même après 26 ans dans la police, il n’est jamais facile d’annoncer à une personne qu’elle a perdu un être cher.

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