Vol. 81, Nº 3Reportages

Deux agents de la GRC s'éloignent d'un avion en escortant un individu menotté dont le visage est caché par son capuchon.

Suivre les sacs d’argent

La GRC tente une nouvelle stratégie pour pincer les blanchisseurs

L'hiver dernier, des agents de la GRC ont démantelé un vaste réseau de blanchiment d'argent lié à une organisation faisant l'importation de drogues de la Colombie. Crédit : GRC

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Lors d'une descente digne d'un film hollywoodien, la GRC a suivi des valises bourrées d'argent pour démanteler un des plus vastes réseaux de blanchiment d'argent au Canada. Cette méthode d'enquête n'a rien de traditionnel, mais elle donne des résultats.

En février dernier, l'Unité mixte des produits de la criminalité (UMPC) de Montréal a déposé des accusations contre 19 personnes, exécuté 13 mandats de perquisition, saisi 10 millions de dollars en espèces et huit propriétés évaluées à 20 millions de dollars, et bloqué huit comptes bancaires.

« Auparavant, on intervenait à la fin d'une enquête antidrogue pour répertorier les biens et les enlever aux criminels », explique le serg. François-Olivier Myette de la GRC, qui a mené l'enquête, baptisée Projet Collecteur. « Les choses ont complètement changé, car on enquête maintenant sur le blanchiment d'argent plutôt que sur les biens. »

En règle générale, les criminels utilisent les profits tirés de leurs activités illégales pour faire de gros achats (maisons, voitures, bateaux, bijoux, etc.), ou bien ils les réinvestissent dans d'autres activités et les transfèrent à l'étranger pour payer leurs fournisseurs.

Ils ne peuvent pas simplement déposer l'argent à la banque, puisque les transactions de cet ordre laissent des traces et que les banques canadiennes signalent les dépôts de plus de 10 000 $.

Afin d'utiliser leur argent sans éveiller de soupçons, les organisations criminelles engagent des blanchisseurs professionnels pour le recycler en effectuant une série de transactions qui donneront l'impression d'une provenance légitime.

L'UMPC s'attaque donc à ceux qui fournissent ce service aux organisations criminelles.

« Tout cet argent vient essentiellement du narcotrafic, souligne le serg. Myette. La meilleure façon d'en combattre le recyclage, c'est de frapper quand le blanchisseur l'a entre les mains et qu'il réfléchit à ce qu'il en fera. »

Un tuyau payant

Sur la foi d'un renseignement fourni par la Drug Enforcement Administration des États-Unis en mai 2016, l'UMPC s'est mise à surveiller les membres d'un réseau criminel au Canada qui avait des liens avec une orga-nisation faisant l'importation de drogues de la Colombie.

Ce réseau, qui possède des bases à Montréal et à Toronto, utilisait un système informel de transfert de fonds pour blanchir environ 20 millions de dollars à l'étranger chaque mois.

« Au lieu de déplacer les fonds de pays en pays, il faisait des collectes d'espèces à l'échelon local, puis payait des transactions avec l'argent dont il disposait à l'étranger, explique le serg. Myette. Un dollar entrait dans la poche gauche et un autre sortait de la poche droite. »

L'argent était surtout réinvesti dans des activités illégales, dont l'importation de drogues.

L'UMPC a employé une foule de techniques d'enquête pour prouver que l'argent provenait d'activités illégales — et que les blanchisseurs le savaient.

Elle a mené plusieurs opérations d'infiltration et des centaines d'activités de surveillance, posé des dispositifs de repérage sur les véhicules des suspects, fait de l'écoute électronique, installé des caméras cachées et secrètement perquisitionné des véhicules et des téléphones.

Tout cela lui a permis d'observer plus de 120 échanges de valises et de sacs de sport contenant des centaines de milliers de dollars en espèces, effectués dans des stationnements souterrains et d'autres endroits à l'abri des regards.

« C'était du jamais vu. On a pas mal tout mis en œuvre », dit le cap. Nicolas St-Antoine, qui a pris la relève du serg. Myette.

Le plus grand défi était de prouver que les suspects étaient conscients de la provenance illégale de l'argent, selon le cap. St-Antoine.

« C'est très difficile. Comment faire pour voir dans les pensées de quelqu'un? »

Il ajoute que les arrestations de suspects secondaires ont semé la panique dans le réseau. Tandis que la nouvelle se répandait parmi les membres, l'UMPC écoutait leurs conversations et recueillait des preuves.

Un immense effort

À tout moment, jusqu'à 35 policiers travaillaient à l'enquête, selon la gend. Stephanie Clayton, coordonnatrice du dossier, qui s'occupait de rassembler tous les éléments à charge contre les accusés, un processus qu'elle appelle la communication de la preuve.

La gend. Clayton a transmis 88 000 documents aux procureurs, y compris les notes manuscrites des enquêteurs, plusieurs milliers de fichiers multimédias et des interceptions électroniques effectuées sur quatre mois.

Selon le serg. Myette, c'est un examen international qui a poussé l'UMPC à changer de cap.

En juin 2016, le Groupe d'action financière (GAFI), un organisme international qui surveille la répression du blanchiment d'argent partout dans le monde, avait donné une mauvaise note au Canada pour son effi-cacité en la matière et avait recommandé des politiques plus strictes.

« On essaie une nouvelle stratégie et elle fonctionne vraiment bien », constate le serg. Myette.

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