Vol. 79, Nº 4Reportages

Policiers sur une ferme qui s'approchent d'un camion.

L’importance de connaître vos voisins

La GRC fait équipe avec les communautés pour lutter contre le vol

Les crimes contre les biens (cambriolages, vols de véhicules et vandalisme) sont une préoccupation pour la police et les résidants de communautés rurales. Crédit : Andrew Marshall, GRC

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Selon Statistique Canada, le nombre et la gravité des crimes commis au pays s'accroissent pour la première fois en 12 ans : les chiffres en la matière ont grimpé de 5 p. 100 de 2014 à 2015.

Cette tendance n'épargne pas les secteurs ruraux. À mesure que les cas de vol et de vandalisme se multiplient, les agriculteurs et les résidants de ces secteurs durcissent le ton et s'arment par mesure de protection.

En Saskatchewan, un groupe Facebook appelé « Farmers with Firearms » (agriculteurs armés) a publié ceci [traduction] :

« Si la GRC tarde à intervenir, nous le ferons nous-mêmes. »

Ce genre de discours a incité le s.é.-m. Ken Morrison, chef du Détachement de Blackfalds en Alberta, à poser une question importante lors d'assemblées générales dans sa communauté : êtes-vous prêts à sacrifier votre vie pour protéger votre propriété?

« Si [les résidants] interviennent, quelqu'un va se faire blesser », prévient-il.

Le Détachement de Blackfalds se trouve en périphérie de Red Deer, entre Calgary et Edmonton, les deux plus grandes villes de l'Alberta.

Ken Morrison ou un policier de son personnel assiste à chaque rencontre de ce genre sur le territoire du Détachement pour dialoguer avec la communauté, répondre aux questions de nature policière et couper court aux propos justiciers.

Les résidants du secteur se préoccupent surtout des cambriolages, vols de véhicules, actes de vandalisme et autres crimes contre les biens, qui constituent une priorité pour le Détachement.

« Si les cambriolages et les vols de véhicules sont à la hausse, surtout en milieu rural, c'est qu'il y a des cibles faciles », explique le s.é.-m. Morrison.

Servir d'yeux et d'oreilles à la police

Le cap. Mel Zurevinsky, de la Section de la prévention et de la réduction de la criminalité de la GRC à Regina (Saskatchewan), est conscient de l'existence du groupe Facebook et des inquiétudes croissantes que suscite la criminalité dans les secteurs ruraux de la province.

« Les municipalités et les détachements ruraux ont été bombardés d'appels concernant des vols et des comportements justiciers, note-t-il. Nous n'approuvons en aucun cas les propos qui encouragent les gens à se faire justice. Nous voulons plutôt qu'ils passent par le Programme de surveillance de la criminalité en milieu rural pour signaler leurs observations à la police. »

Ce programme dirigé par la collectivité avec le soutien de la police vise à prévenir et à réduire la criminalité par un effort de partenariat. L'implication citoyenne dans le programme était forte en Saskatchewan au début des années 2000, mais elle a baissé au fil des ans.

Mel Zurevinsky a parlé de le revitaliser lors du congrès printanier de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities.

« On ne peut pas être partout à la fois, alors les résidants nous servent d'yeux et d'oreilles », souligne le cap. Zurevinsky.

Il a mis à jour de la documentation à distribuer aux municipalités rurales, présenté des exposés lors d'assemblées générales et communiqué avec divers médias pour faire passer le message que la meilleure solution tient à collaborer avec la police.

Quelque 22 collectivités en Saskatchewan s'emploient actuellement à revitaliser leur programme de surveillance en milieu rural ou à en mettre un sur pied.

Le cap. Zurevinsky félicite la municipalité rurale d'Edenwold pour le succès de son programme, qu'il cite souvent à titre d'exemple.

Celui-ci mise sur la technologie : environ 60 p. 100 de ses 90 membres utilisent l'application de clavardage en groupe WhatsApp pour échanger en temps réel sur les activités suspectes dans leur communauté. Quelques agents du détachement local de la GRC participent aussi à ces échanges.

Tim Brodt, conseiller municipal à Edenwold et président de son Programme de surveillance de la criminalité en milieu rural, dit que le but est d'empêcher les criminels de s'arrêter dans le coin.

« Nous insistons notamment sur l'importance de connaître vos voisins et de savoir ce qu'ils conduisent, explique-t-il. Si vous voyez un véhicule suspect, notez le numéro de plaque et la date, puis diffusez ces informations sur WhatsApp. De cette façon, nous aurons quelques pistes s'il arrive quelque chose. »

Selon le cap. Zurevinsky, le principe du programme est simple. On demande aux membres d'assister à quelques réunions par année et d'être vigilants dans leurs activités quotidiennes. S'ils voient quelque chose de suspect, ils le notent, le partagent et le signalent à la police au besoin.

« Nos analystes de la criminalité peuvent utiliser cette information pour identifier les individus concernés et déterminer où les crimes ont lieu », précise-t-il.

On l'a vu dans le cas de Joseph Palmer, condamné récemment en Saskatchewan relativement à 114 accusations de cambriolage en milieu rural grâce aux efforts concertés de Kim Audette, analyste de la criminalité, et de la gend. Holly LeFrancois, enquêtrice au dossier.

Éléments de preuve cruciaux

Le cap. Mike Boychuk, du Détachement de Brandon de la GRC au Manitoba, considère l'analyse de la criminalité comme un outil important dans les collectivités rurales.

« La plupart des gens ont des habitudes, et cette règle vaut aussi pour les criminels, observe-t-il. Le cambrioleur qui aime utiliser un démonte-pneu s'en servira plus d'une fois. Si nous reconnaissons cette habitude et que nous trouvons l'élément de preuve clé qui permettra d'identifier le suspect, nous pouvons élucider beaucoup de crimes. »

La plupart des crimes commis en milieu rural sont difficiles à résoudre.

« Le territoire est vaste et les témoins, rares », constate le cap. Boychuk. « Pas plus tard que la semaine dernière, il y a eu quatre cambriolages à Souris. Nous cherchons des preuves et essayons de trouver des témoins pour mener à bien les enquêtes, mais c'est difficile. »

Il dit que la police cherche toujours des traces de pneus ou de pas et des empreintes digitales, mais que les preuves recueillies grâce aux caméras de surveillance sont particulièrement utiles.

« Nous encourageons vivement les gens à s'équiper d'un système de surveillance, poursuit le cap. Boychuk. Une alarme peut dissuader un criminel d'entrer chez eux, mais il est difficile de l'attraper quand le temps nécessaire pour se rendre sur les lieux peut varier de 15 minutes à plus d'une heure. »

Parfois, il suffit de trouver un élément du casse-tête, comme un enregistrement vidéo, pour élucider un crime. C'est ainsi, note le cap. Boychuk, que la police a pu dé-manteler un réseau de criminels qui ciblait des secteurs ruraux l'hiver dernier.

Cinq hommes ont été accusés de vol de véhicules, d'armes à feu et d'outils provenant de propriétés dans le sud-ouest du Manitoba.

Il y a d'abord eu un cambriolage sur une propriété rurale. La victime a signalé le vol de quelques cartes de crédit, dont l'une a été utilisée peu de temps après dans un dépanneur à Brandon.

La GRC s'est empressée d'obtenir l'enregistrement de la caméra de surveillance du magasin, ce qui lui a permis d'identifier des suspects. Un peu plus tard, le Groupe de l'identité judiciaire a prélevé sur un véhicule volé une empreinte digitale correspondant à celle d'un criminel connu.

« Ces deux éléments clés nous ont mis sur la bonne voie, conclut le cap. Boychuk. Après avoir arrêté les suspects, nous avons employé des techniques d'interrogatoire qui ont suscité des aveux. L'arrestation de quatre individus a mené à l'élucidation de plus de 100 crimes. »

Groupe spécialisé

Dans le centre de l'Alberta, le Groupe de travail sur les crimes prioritaires travaille depuis octobre 2014 à freiner la hausse de la criminalité en milieu rural.

Ce groupe d'enquêteurs en civil réunit des agents des détachements de la GRC à Blackfalds, Red Deer, Sylvan Lake, Innisfail, Bashaw, Ponoka, Rimbey et Rocky Mountain House ainsi que du Service de police de Lacombe.

Il utilise les renseignements recueillis par les policiers de première ligne afin d'établir des liens entre des crimes. « Le groupe a réussi à démanteler plusieurs orga-nisations qui commettaient activement des crimes contre les biens », fait remarquer le s.é.-m. Morrison.

Ce dernier cherchait un nouveau moyen de s'attaquer à la criminalité dans les secteurs ruraux de son district sans alourdir le fardeau de ses policiers aux services généraux, déjà très sollicités.

Inspiré par le succès du Groupe de travail sur les crimes prioritaires, il a demandé aux comtés de Red Deer et de Lacombe, qui relèvent du territoire du Détachement de Blackfalds, de financer à parts égales deux postes dont les titulaires formeraient une Section des enquêtes générales (SEG) pour se concentrer sur les crimes contre les biens et d'autres crimes graves dans ces comtés.

Le s.é.-m. Morrison a explicitement demandé deux enquêteurs en civil. Il ne voulait pas d'autres policiers en uniforme dont l'efficacité irait se diluer dans les activités courantes du Détachement, mais des ressources qui permettraient le ciblage voulu.

« C'était à mon avis l'un des arguments les plus convaincants, parce qu'on ne demandait pas juste un autre policier, mais un moyen précis de lutter contre un problème des plus préoccupants aux yeux non seulement du public mais aussi de la police », observe le s.é.-m. Morrison.

La nouvelle SEG offrira plusieurs avantages stratégiques. En plus de libérer les membres aux services généraux pour travailler dans une optique plus proactive que réactive, elle sera en mesure de mener les enquêtes du début à la fin et d'établir des liens entre les dossiers.

La GRC se penche sur les détails du contrat avec les comtés de Red Deer et de Lacombe. La SEG sera basée au Détachement de Blackfalds, mais offrira ses services sur l'ensemble du territoire des deux comtés, en plus de ceux qu'y fournissent déjà d'autres détachements et corps policiers municipaux.

Le s.é.-m. Morrison espère qu'elle entrera en fonction d'ici l'été 2018.

Il est heureux de voir que cette nouvelle entente amènera les comtés ruraux et leurs résidants à contribuer plus activement à la maîtrise de l'enjeu.

« Pendant longtemps, le soin de maintenir l'ordre était simplement laissé à la police, croit le s.é.-m. Morrison. Grâce à la mobilisation active des collectivités, les gens comprennent mieux que c'est l'affaire de tous. »

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