Vol. 76, Nº 1Reportages externes

La gestion de crise en temps réel répond aux tweets suicidaires

Le tandem formé de l'agent Scott Mills, de la Police de Toronto, et d'Anne Marie Batten, infirmière de rue à Toronto, met en œuvre une stratégie novatrice de prévention du suicide fondée sur l'utilisation de Twitter. Crédit : Kevin Masterman, Service de police de Toronto

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« Assis sur les rails, j'attends le prochain train, prêt à en finir. Adieu, le Monde! »

Si vous receviez un tel message sur votre compte personnel ou professionnel de Twitter ou de Facebook, sauriez-vous comment réagir? Voici que l'organisme baptisé Real Time Crisis Intervention (RTCI), né de la volonté de citoyens ordinaires, pourra bientôt assurer la prestation de services sociaux et de solutions policières 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Pour prendre l'exemple du message cité ci-dessus, RTCI aurait la capacité d'obtenir l'assistance de la police et de communiquer avec les responsables de la sécurité du transport en commun pour qu'ils fassent stopper les trains se déplaçant dans le secteur touché.

Et toutes ces communications auraient lieu en temps réel grâce aux médias sociaux : un infirmier ou un travailleur social spécialisé aurait un échange confidentiel avec la personne en état de crise pendant qu'on fait le nécessaire pour éviter un accident ferroviaire.

Organisme à but non lucratif en voie d'entrer en activité, RTCI a pour but de sauver des vies et d'améliorer le sort des gens en difficulté. Les médias sociaux sont au cœur de l'initiative.

Fondatrice et directrice de RTCI, l'infirmière de rue torontoise Anne Marie Batten gère celui-ci avec Jesse Miller, spécialiste de la sécurité en ligne chez Mediated Reality , à Vancouver, le Département américain de la santé, Scott Abrams, réputé conseiller en développement communautaire international, de Crime Stoppers USA , et Lauri Stevens, experte en stratégies d'utilisation des médias sociaux aux fins d'application de la loi, de Laws Communications .

Responsable des médias sociaux au sein du Service de police de Toronto (SPT), l'agent Scott Mills conseille étroitement Mme Batten. Ils se servent des médias sociaux comme le font les tandems paramédicopoliciers qui forment les équipes mobiles d'intervention d'urgence.

RTCI possède l'expertise requise pour venir en aide aux personnes en situation de détresse aiguë. Tout en mettant l'accent sur la prévention, Mme Batten et l'agent Mills s'emploient actuellement à réagir en temps réel, au moyen des médias sociaux, aux messages suicidaires publiés par les internautes ainsi qu'à d'autres types de situations de crise « en direct ».

Une attitude engageante

Une différence de taille distingue RTCI des autres programmes de soutien axés sur l'utilisation des médias sociaux : RTCI fait appel à des professionnels qualifiés, notamment ceux qui, actifs dans le domaine de la santé et des services sociaux, travaillent avec les policiers pour se mettre directement en contact avec la personne en situation de crise.

Sur son compte Twitter @Unsuicide, que suivent près de 15 000 abonnés, Sandra Dawson fournit des liens-ressources, des conseils, des témoignages et des services de santé en ligne.

« J'ai dénombré plus de 500 abonnés de Twitter, sans compter ceux qui se servent de sites comme Tumblr, Reddit et YouTube, qui ont aussi décidé de tendre la main à leurs pairs dans le besoin et de leur adresser des tweets compatissants et pleins d'espoir », déclare Dawson.

Il reste que ces internautes sont mal placés pour supprimer le fossé qui sépare le soutien virtuel de l'aide hors ligne, par exemple lorsque quelqu'un publie un message suicidaire. Les réseaux de médias sociaux n'autorisent aucun utilisateur à obtenir l'adresse IP et les données de localisation réelle d'un autre utilisateur, à supposer qu'ils recueillent ces données. Faute de connaître le vrai nom et l'adresse de l'utilisateur en détresse, les internautes secourables ne peuvent appeler le 911 pour qu'on dépêche la police ou une ambulance sur les lieux.

RTCI s'est révélé utile lors de situations d'urgence vécues par des abonnés en rendant possible l'intervention d'une infirmière d'urgence apte à conseiller et à prévenir le pire. En contact avec l'équipe de soutien Twitter, la police pourra, grâce aux données IP, localiser les utilisateurs qui, dans un moment critique, nécessitent des soins médicaux d'urgence.

Demande croissante

C'est Mark Horvath, avocat défenseur des sans-abri de Los Angeles, qui a fait découvrir Twitter à Mme Batten et à l'agent Mills. Conçu en novembre 2012, RTCI est né du constat qu'il y avait de plus en plus de cas de détresse mentale signalés dans les médias sociaux et que cela requérait une capacité d'intervention concertée en direct, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

La première intervention conjointe a consisté à aider un sans-logis aux prises avec la maladie mentale et laissé pour compte par l'appareil médico-hospitalier en place.

Grâce à la collaboration d'un policier et d'une infirmière aptes à interagir en temps réel au moyen des médias sociaux, l'itinérant en question, #HomelessJoe , jouit maintenant d'un toit et d'un revenu, prend des médicaments et bénéficie du soutien de la communauté.

À la suite de ce succès, l'équipe s'est demandé comment venir en aide aux personnes en détresse qui lancent des appels au secours sur Twitter et Facebook.

Le SPT recevait par les médias sociaux un grand nombre de demandes d'aide provenant de personnes au bord du suicide. Mme Batten s'est dit que l'embauche d'un expert en santé mentale pour répondre à ces demandes permettrait de produire des évaluations des risques et de la santé mentale cliniquement fondées et même, parfois, de suppléer à l'intervention de la police.

De concert, ils ont résolu de créer une structure virtuelle en élaborant un programme axé sur l'entraide communautaire. Un groupe de consultation a été formé qui rassemblait des acteurs de premier plan issus des milieux de la police, des soins infirmiers, de l'éducation, du droit, des services communautaires de santé mentale, de la probation, de la gestion des urgences, de l'action jeunesse et de la sécurité des transports.

Des membres de la communauté ayant une expérience directe du problème, dont l'avocat Andrew Stewart, ont imprimé au projet un caractère essentiel pour ses futurs bénéficiaires. Une leçon est ressortie avec force : il faut parler moins et écouter davantage.

Par notre action menée en temps réel, nous sommes parvenus à répondre aux besoins des personnes à risque et à établir des liens de confiance avec elles.

Filtrage précoce

Dans la plupart des cas, ceux qui demandaient de l'aide ne requéraient pas de soins d'urgence. Tout ce dont ils avaient besoin était du soutien et un suivi assuré par la communauté.

Poursuivant son travail en ligne, l'équipe a remarqué que certaines des personnes qu'elle avait aidées s'adressaient maintenant directement à elle en cas de détresse. En procédant ainsi, elles évitaient de voir leur appel à l'aide aboutir dans les comptes de médias sociaux du SPT et de porter ainsi à la connaissance de tous des informations à caractère très personnel.

Cultiver de telles relations en ligne est une façon proactive de gérer les situations de crise concernant la santé mentale. L'intervention en temps réel et l'évaluation exhaustive des risques et de la santé mentale permettent de répondre aux besoins des personnes en détresse.

Diminuer le nombre d'appels 911 des personnes en situation de crise liée à leur santé mentale et réduire le nombre de visites aux services des urgences sont des objectifs auxquel tendent tous les hôpitaux et organismes policiers. Or voilà ce qu'a accompli Real Time Crisis Intervention .

D'après les statistiques compilées, plus de cent interventions ont été réalisées en l'espace de quatre mois. De ce nombre, douze ont été jugées à risque élevé, et seulement trois de celles-ci ont nécessité l'entrée en action de la police et des services d'urgence.

RTCI voit son rôle comme étant disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour prêter assistance aux personnes en détresse. Lorsque par exemple un cas problème est signalé à la police au moyen de Twitter, RTCI peut être consulté.

Mode de fonctionnement

Les appels à l'aide peuvent être adressés directement à RTCI, mais le plus souvent, la police ou les services sociaux sont alertés par des tiers qui demandent de l'aide après avoir relevé un risque. Après concertation, l'infirmière ou le travailleur social d'urgence entre en contact avec l'intéressé, par exemple au moyen d'un simple tweet comme : « Je peux vous aider? »

La communication passe alors en mode confidentiel. Au cours de l'échange, l'infirmière procède à une évaluation des risques et de la santé mentale, et parfois elle s'informe des antécédents de la personne (diagnostics antérieurs, médicaments utilisés, soutien communautaire, etc.).

On décide alors de l'intervention à mener en fonction du niveau de risque. Dans les situations critiques, un contact permanent est maintenu avec la police afin de garantir la sûreté de l'opération. Dans les cas où le risque est moindre, RTCI se charge de l'évaluation, des mesures de sécurité, de l'intervention et du soutien après-intervention.

Lorsque quelqu'un est emmené à l'hôpital pour des soins d'urgence, le professionnel de RTCI communique avec le personnel concerné pour lui transmettre des renseignements essentiels sur le patient. La sécurité de la personne à risque et des fournisseurs de services demeure une priorité.

Pas encore entièrement opérationnel, RTCI affirme déjà sa présence dans les médias sociaux au moyen de ses comptes Twitter, Facebook, Instagram, Google+ et YouTube.

« En dix-sept années de travail comme infirmière d'urgence, j'ai vu bien des gens passer entre les mailles du système, raconte Mme Batten. L'intégration des médias sociaux à ma pratique d'infirmière m'a fait découvrir une nouvelle façon de prodiguer des soins sans discontinuité. »

RTCI n'a pas pour but de réinventer la roue, mais d'accroître les capacités d'intervention en cas de crise, qui trop souvent laissent pour compte les gens qui appellent à l'aide. Ne serait-il pas souhaitable que la police n'ait plus à intervenir pour la raison que la crise a été parée grâce à l'aide professionnelle offerte en tout temps sur les médias sociaux? Je préfère investir dans ce genre de prévention que d'avoir à témoigner dans une enquête sur une fusillade impliquant des policiers.