Vol. 76, Nº 1Entretien

Dénouement pacifique

Développer l'esprit critique des cadets

Les cadets ont l'occasion d'appliquer des techniques de désescalade au cours de mises en situation de plus en plus complexes. Crédit : Chrystal Kruszelnicki

Pour un policier, rien n'est jamais noir ou blanc; chaque situation est unique. Alors comment apprendre aux cadets à désamorcer une situation explosive quand tout se décline en nuances de gris? Deidre Seiden a posé la question à la cap. Allana Graham (Sciences policières appliquées), au serg. Jeff Comeau (Formation aux armes à feu), au cap. Mark Ward (Tactiques de défense policières) et à la conceptrice de cours Christine Hudy de l'École de la GRC, à la Division Dépôt.

Quels objectifs visez-vous quand vous apprenez aux cadets comment calmer la violence?

AG : On veut qu'ils utilisent au maximum les techniques et les stratégies de communication qu'on leur montre pour recourir le moins possible aux options d'intervention dans leurs interactions avec un sujet.

JC : On veut qu'ils fassent preuve d'esprit critique sur le moment quand il faut décider des mesures qui s'imposent pour gérer convenablement un incident. Au final, ils doivent pouvoir régler la situation de manière à assurer la sécurité de la police et du public. C'est l'idéal, mais ce n'est pas toujours ce qui arrive.

CH : C'est une des raisons pour lesquelles on essaie de développer chez eux une solide capacité de raisonnement critique, car sur le terrain, ils ont très peu de chances de se retrouver dans une situation identique à celles qui leur ont été présentées pendant la formation. Dans notre monde, la désescalade revêt une importance cruciale, à tel point qu'elle figure parmi les sept principes tactiques intégrés à tous les aspects de la formation. L'enseignement à cet égard est surtout concentré dans le volet des tactiques de défense policières.

Qu'entendez-vous par désescalade?

CH : La désescalade consiste à mettre en œuvre toutes les techniques à la disposition du policier pour réduire autant que possible les risques qu'une situation porte préjudice aux personnes qui y sont mêlées.

MW : L'objectif est d'assurer la sécurité de tous. Il faut toujours peser les risques de préjudice que soulève une situation. Y a-t-il des chances qu'un particulier ou un policier soit blessé, ou que des biens soient endommagés? S'il n'y a aucun risque de préjudice et qu'il n'est pas urgent de recourir à la force, on en profite pour appliquer des techniques de communication afin de désamorcer la situation avec les parties concernées dans l'espoir d'aboutir à un dénouement pacifique.

Quel est le meilleur moyen d'apprendre aux cadets à désamorcer la violence?

JC : Je pense que c'est probablement en les faisant participer à des scénarios, comme on le fait ici, soit à l'aide de simulateurs, soit dans le cadre de mises en situation avec des acteurs. Les jeux de rôles permettent aux cadets de s'exercer à échanger avec une personne en chair et en os.

CH : Le principe de la désescalade est abordé de la même façon que plusieurs des autres concepts fondamentaux; on commence toujours par présenter des éléments de base à partir desquels on développe les connaissances des cadets. On leur permet ensuite d'appliquer les techniques relatives au concept visé dans des situations de plus en plus complexes.

AG : Il est fascinant de voir comme les cadets assimilent bien les techniques. Je pense que c'est grâce à la forte intégration des différents volets de la formation. Cette intégration commence très tôt, avec les lectures et la matière présentée en salle de classe, et se poursuit avec des mises en situation d'abord assez simples, où il faut surtout appliquer des techniques de désescalade et de communication pour arriver à un dénouement. Viennent ensuite des simulations plus difficiles où des options d'intervention s'imposent.

MW : Je pense comme Jeff que la formation par scénarios est probablement le meilleur moyen de faire acquérir de l'expérience aux cadets. Aux Techniques de défense policières, on les fait participer à des simulations où ils doivent effectuer un repositionnement tactique, c'est-à-dire changer de place si cela peut aider à stabiliser une situation ou à réduire les risques de violence.

Pourquoi n'y a-t-il pas un cours entièrement consacré au sujet?

CH : C'est parce que le programme est conçu selon une méthode d'apprentissage intégrée qui mise sur la résolution de problèmes au lieu de morceler la matière en fonction des différents sujets à aborder, comme le veut la méthode traditionnelle, peu efficace à notre avis pour former des policiers. Notre méthode met plutôt l'accent sur la résolution de problèmes, ce qui colle mieux à la vraie vie. Tout ce que les cadets apprennent est axé sur le comportement qui sera attendu d'eux sur le terrain.

JC : Les différents groupes travaillent ensemble aussi. Par exemple, les Tactiques de défense policières se joindront à la Formation aux armes à feu pour les simulations visant à développer le jugement. Si j'anime une séance, Mark peut y assister. Ensuite, chacun donne une rétroaction aux cadets en fonction de son bagage personnel et de son expérience au sein de son groupe.

Pouvez-vous donner des exemples de techniques que vous enseignez?

AG : On forme les cadets à faire de l'écoute active plutôt que de dominer la conversation et à laisser parler leur interlocuteur sans l'interrompre pour lui permettre de vider son sac.
JC : Le langage corporel peut être très important aussi. Un agent qui bondit de son auto-patrouille en brandissant son bâton donne un ton très différent de celui qui prend le temps de peser les risques et de décider de sa démarche compte tenu des facteurs en jeu.

AG : Un autre point qu'on aborde est le besoin de gérer son propre stress quand on intervient dans un incident. Il faut prendre un moment pour respirer profondément, réfléchir à la situation et reconnaître que les gens ne s'en prennent pas à vous personnellement.

JC : On met les cadets à l'épreuve et on leur apprend à se poser ces questions quand ils se retrouvent devant une situation. On veut qu'ils arrivent sur le terrain avec un esprit critique.

Comment les cadets sont-ils formés à désamorcer une situation potentiellement tendue, telle qu'un contrôle routier?

AG : On fait des simulations axées sur le contact agent-contrevenant. La façon de se présenter compte pour beaucoup : le ton, la position et le langage corporel de l'agent quand il parle au sujet. Il doit maîtriser la situation et ne pas laisser le sujet dominer l'interaction. C'est la première chose à faire. Et puis il faut que l'échange soit concis et professionnel.

JC : Exactement. Les cadets prennent connaissance des valeurs fondamentales de l'organisation très tôt, et l'on veut qu'ils les appliquent toute leur carrière durant. Le professionnalisme, la compassion et le respect font partie de ces valeurs, et c'est ce qu'on veut voir dans leurs interactions, qu'il s'agisse d'une simulation virtuelle, d'un scénario auquel participe un acteur ou d'un jeu de rôles entre cadets.

MW : On veut que les cadets se maîtrisent dans ces situations et qu'ils essaient de gérer leur propre stress et leur propre colère, comme Allana l'a mentionné tantôt. Parfois, les gens cherchent à provoquer un argument ou une bagarre avec le policier. C'est donc à ce dernier de faire preuve de retenue et de sang-froid.

Les cadets sont-ils formés à composer avec des personnes atteintes de maladie mentale?

AG : On leur propose des lectures, des vidéos, des exercices en salle de classe et des mises en situation sur le sujet. Peu importe la nature de l'incident ou les personnes en cause, on fait toujours une évaluation des risques en tenant compte des facteurs en jeu et de nos observations. Plus on a d'information sur le sujet, plus il est facile de déterminer comment il convient de l'aborder.

CH : Quelles que soient la personne devant vous et les circonstances qui ont mené à l'incident, vous devez garder la maîtrise de la situation pour assurer la sécurité du public et des policiers.

Comment tout ce savoir favorise-t-il la désescalade d'une situation potentiellement violente?

MW : Quand on y pense, c'est juste un outil de plus dans l'arsenal du policier. Il y a plusieurs moyens de régler une situation. Si ma façon d'aborder quelqu'un ne marche pas, je passe au plan B, C ou D et j'utilise tous les outils à ma disposition pour trouver une solution. Plus on a de cordes à son arc, mieux on est préparé.

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