Vol. 76, Nº 3Reportages externes

Comprendre la motivation

Le rôle du superviseur dans la fidélisation des policiers

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Il y a plusieurs années, le Gallup Management Journal a réalisé une étude pluriannuelle sur les caractéristiques d'un excellent milieu de travail.

Les chercheurs devaient d'abord convenir du sens à donner à « excellent ». Ils ont conclu que l'excellence d'un milieu de travail se mesurait à la satisfaction professionnelle des employés, pour la simple raison qu'un employé satisfait est plus enclin à rester au sein de son organisation.

Gallup a ensuite procédé à l'analyse statistique de données recueillies auprès de plus de 200 000 employés de 36 organisations dans 21 industries pour examiner les liens entre les conditions de travail, la satisfaction professionnelle et la fidélisation des employés.

Au final, les résultats étaient clairs : les employés ne quittent pas une entreprise, mais un gestionnaire ou un superviseur. La relation avec le superviseur immédiat est donc le plus important facteur de satisfaction professionnelle et de fidélisation des employés.

Si la plupart des corps policiers reconnaissent volontiers l'importance d'une supervision efficace pour la gestion des risques, la formation et l'exercice d'autres fonctions, le rôle clé du superviseur dans la motivation et la fidélisation des subalternes est souvent passé sous silence.

Les nouveaux policiers sont pratiquement tous animés du désir de changer les choses. Ils arrivent pleins d'enthousiasme, d'espoir et d'optimisme. Le comportement subséquent de leur superviseur jouera dans leur décision de rester fidèle ou non à leur employeur.

Si les conclusions de Gallup sont justes, les policiers insatisfaits de leur superviseur sont plus susceptibles que les autres de quitter leur employeur. Ceux qui décident de rester s'absentent davantage, souffrent de fatigue et d'anxiété et sont moins attachés à la mission du service.

Motivation et fidélisation

Les superviseurs tendent à considérer le travail du policier en termes simples et à voir sa motivation sous l'angle traditionnel de la rémunération et des avantages sociaux : s'il suit les règles, fait son travail et ne cause pas de problèmes, il sera bien payé pour le temps consacré à son emploi. Le hic, avec cette philosophie, c'est que la rémunération n'est pas l'unique source de motivation du policier. Elle a bien sûr son importance, mais elle ne fait pas partie des facteurs qui distinguent les policiers productifs et motivés de ceux dont l'engagement est plus tiède.

La motivation est la force qui détermine la volonté de poursuivre un but, l'ardeur qu'on y met et les obstacles qu'on est prêt à surmonter pour l'atteindre. Elle peut venir de l'extérieur (motivation extrinsèque) ou de l'intérieur (motivation intrinsèque).

Un employé tire généralement sa motivation de sources tant extrinsèques (comme la solde et les avantages) qu'intrinsèques (comme le sentiment d'être utile). C'est la motivation intrinsèque qui influe le plus sur l'engagement, la satisfaction professionnelle et la fidélisation du policier.

Se fiant à l'idée reçue selon laquelle la motivation du policier passe surtout par la rémunération, bien des superviseurs se croient impuissants à y faire quoi que ce soit. C'est faux. En comprenant et en appliquant les principes fondamentaux de la motivation, ils peuvent beaucoup contribuer à la satisfaction professionnelle, au moral et à la fidélisation de leurs subalternes.

La motivation extrinsèque

Le comportement est fonction des conséquences qu'il engendre. Récompensé, il aura plus de chances de se répéter dans des conditions semblables, mais une sanction produira l'effet inverse. L'efficacité de la récompense repose sur quatre facteurs : la perception qu'on en a, le moment de son attribution, son uniformité et son aspect conditionnel. Elle doit avoir de la valeur aux yeux de la personne qui la reçoit, être accordée immédiatement, s'appliquer de la même façon chaque fois que le comportement désiré se produit et être conditionnelle à ce comportement.

L'une des récompenses les plus simples et les plus efficaces consiste à reconnaître le travail bien fait. Le superviseur devrait profiter de chaque occasion de remercier ses subalternes de leur ardeur au travail, en privé et devant les autres. Cette simple reconnaissance contribue grandement à la satisfaction professionnelle et au moral.

Dans son livre intitulé Bringing Out the Best in People, le psychologue Aubrey Daniels soutient d'ailleurs qu'en l'absence d'une reconnaissance de la part de leur superviseur, les employés présument que ni ce dernier ni l'organisation n'attachent d'importance à leur travail.

La motivation extrinsèque, notamment sous forme d'éloges, est certes importante, mais elle a ses limites. Tout d'abord, c'est une solution ponctuelle à un problème persistant. Elle peut s'avérer efficace pour susciter l'enthousiasme, mais le résultat est habituellement éphémère.

De plus, le recours excessif à ce genre de récompense peut finir par démotiver. En s'arrêtant uniquement à la gratification immédiate qu'ils tirent des récompenses extrinsèques, les employés ne s'ouvrent pas à l'effet motivant plus durable que procurent la croissance personnelle et la réussite. Ils adoptent plutôt une attitude « donnant-donnant ». Leur rendement et leur fidélité à l'employeur dépendent alors de la nature et de la fréquence des récompenses qu'ils reçoivent.

Malheureusement, avec le temps, les récompenses extrinsèques perdent de leur attrait, et l'organisation se retrouve alors avec un policier démotivé et peu productif, qui cherchera probablement à obtenir mieux ailleurs.

La motivation intrinsèque

Contrairement aux facteurs d'ordre extrinsèque (éloges, incitatifs financiers, promotions), la motivation intrinsèque vient de l'intérieur. Elle tient au besoin naturel de réussite, de responsabilité et d'épanouissement. Dans son ouvrage de 2009 intituléDrive, Daniel Pink cite trois éléments clés de la motivation intrinsèque : l'autonomie, la maîtrise et le sentiment d'utilité.

L'autonomie relève de la tendance humaine naturelle à vouloir mener sa propre vie. C'est différent de l'indépendance. Être autonome, c'est avoir la liberté de choisir où, quand et comment l'on accomplit son travail. Les personnes jouissant d'autonomie sont plus susceptibles de développer une motivation intrinsèque à l'égard de leur travail.

Les superviseurs policiers peuvent accroître le sentiment d'autonomie des agents subalternes en leur permettant de décider des tâches sur lesquelles ils se concentreront et de la manière de les accomplir. Daniel Pink propose aussi de les laisser choisir avec qui ils y travailleront, dans la mesure du possible. Cette liberté de choix fait en sorte que la responsabilité des résultats ne repose plus uniquement sur le superviseur, mais aussi sur l'employé. Le superviseur doit donc exiger des comptes.

Le deuxième élément, soit la maîtrise, concerne le désir inné de s'épanouir. Chacun souhaite devenir habile aux activités qui le passionnent. C'est pourquoi les gens se laissent absorber par une tâche qui leur plaît particulièrement. La maîtrise est cependant une asymptote, c'est-à-dire qu'on peut s'en approcher, mais jamais l'atteindre tout à fait.

Elle procède de l'apprentissage, du désir de se mesurer à soi-même et du souci de faire mieux. C'est tout le contraire de la mentalité que favorisent les récompenses extrinsèques, à savoir : si je fais X, j'obtiendrai Y. Pour aspirer à la maîtrise, un employé doit croire en sa capacité de s'améliorer et travailler longtemps de façon soutenue. Les policiers qui manquent d'assurance risquent de baisser vite les bras.

Le dernier élément, soit le sentiment d'utilité, vient lorsqu'on travaille à quelque chose d'important, de plus grand que soi, et qu'on y réussit bien. L'humain cherche naturellement à se sentir utile dans son travail.

En application de la loi, l'utilité des policiers va de soi, mais avec le temps, ils peuvent perdre de vue toute l'ampleur de leur contribution. Ce sont des gens comme tout le monde. Ils peuvent facilement oublier à quel point leur travail est important et combien de vies ils touchent.

C'est donc au superviseur de leur rappeler la noblesse de leur vocation et la façon dont leur travail individuel y contribue, en prenant soin d'utiliser le « nous » pour bien souligner leur participation à une cause collective.

Recommandations

Les superviseurs policiers jouent un rôle crucial au soutien du moral, de la productivité et de la fidélisation des agents subalternes. La plupart savent par expérience qu'un policier motivé, satisfait et productif est plus susceptible de rester chez son employeur.

Ils peuvent accroître la motivation de leur personnel en misant sur une combinaison de récompenses extrinsèques et intrinsèques. L'attribution d'une récompense extrinsèque exige cependant une certaine prudence. Il faut que le policier la veuille vraiment, qu'elle lui soit présentée dès que possible après le comportement méritoire et qu'elle soit conforme à l'usage habituel. Surtout, elle doit le surprendre, pour éviter toute corrélation avec le rendement.

Outre le recours judicieux à des facteurs de motivation extrinsèques, le superviseur doit favoriser un climat d'apprentissage, de réussite et de croissance personnelle, ce qu'il peut faire en mettant l'accent sur l'autonomie, en fixant des objectifs clairs, en donnant une rétroaction immédiate et en attribuant des tâches difficiles, mais pas excessivement complexes.

Comme on l'a déjà mentionné, l'autonomie permet de décider quand, comment et avec qui l'on accomplira une tâche. Il ne suffit toutefois pas d'attribuer des tâches. Les policiers ont besoin d'objectifs clairs et précis ainsi que d'une rétroaction immédiate sur leur rendement, à défaut de quoi la frustration les guette. Il appartient au superviseur d'attribuer des tâches bien définies et au policier de déterminer quand et comment les accomplir.

Soulignons, enfin, que le policier donne son meilleur rendement quand on lui confie des tâches difficiles, mais pas excessivement complexes. Il est naturel d'aimer les défis, et les gens se montreront à la hauteur s'ils ont le savoir et les capacités voulues. Par contre, s'ils se sentent dépassés, ils risquent d'abandonner la partie ou, pire, de refuser des tâches similaires à l'avenir.

Le lieutenant Brian D. Fitch, Ph. D., compte 32 ans de service au bureau du shérif du comté de Los Angeles. Il est professeur à la faculté de psychologie de la California State University à Long Beach et à l'école de droit de la Southwestern University. On peut le joindre à l'adresse suivante : Fitch@cjinstitute.com.

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