Vol. 79, Nº 2Reportages

Deux policiers regardent une personne dormir sur le banc d'un abribus la nuit.

À la rescousse de Fort McMurray

La police tire leçon des opérations d'évacuation de la ville

Les 136 membres du Détachement de Wood Buffalo sont intervenus dans les incendies qui ont ravagé Fort McMurray, et évacué les 88 000 résidents en six heures. Crédit : Chris Schwarz, gouvernment de l'Alberta

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Le 1er mai 2016, le Détachement de Wood Buffalo de la GRC se préparait au pire. Deux feux de forêt faisant rage au nord et au sud de Fort McMurray (Alb.) se rapprochaient lentement de la ville.

La surint. Lorna Dicks, chef intérimaire du détachement à l'époque, savait à quelle vitesse les feux de forêt peuvent se propager et elle ne voulait rien laisser au hasard. C'est pourquoi elle a affecté dix policiers supplémentaires par quart dans les quartiers les plus proches des incendies.

« Rappeler les membres au travail et les faire revêtir leur équipement prendraient 45 minutes, alors que s'ils sont déjà là, c'est une question de minutes, précise-t-elle. Nous voulions des effectifs additionnels pour évacuer la population le plus rapidement possible, le cas échéant. »

Le détachement a activé son centre d'opérations d'urgence – une salle de réunion convertie en centre de commandement – et affecté un membre de la GRC au centre régional des opérations d'urgence (CROU) pour qu'il relaie les informations les plus récentes sur les incendies.

Dans les jours qui ont suivi, le Détachement de Wood Buffalo, qui sert Fort McMurray, est demeuré sur un pied d'alerte élevé, surveillant les nuages de fumée gagner du terrain. Ce n'est qu'à 14 h le 3 mai que le feu a échappé à tout contrôle. Le CROU a alors déclaré l'évacuation générale et la GRC s'est attelée à faire sortir les citoyens en toute sécurité.

La surint. Dicks a imposé des heures supplémentaires aux 136 membres du détachement.

« En répondant à l'appel, ils ont laissé leur foyer derrière eux, dit-elle. Ils n'ont pas eu le loisir de rentrer chez eux pour prendre des effets. Ils ont tout abandonné pour se consacrer à l'évacuation des citoyens. »

Exercice d'évacuation

Un mois avant les feux de forêt à Fort McMurray, le Détachement de Wood Buffalo avait répété un exercice d'évacuation tout à fait pertinent. On avait établi un plan d'urgence au cas où le feu détruisait un des deux immeubles du détachement dans la ville.

Le chef à l'époque, le surint. Rob McCloy, voulait s'assurer de maintenir les opérations policières même en cas de perte d'un des immeubles et de ses ressources. « Nous avons doublé le matériel et mis sur papier les procédures afin que chacun sache précisément ce qu'il a à faire, précise-t-il. Tout le nécessaire pour maintenir la capacité opérationnelle. »

Le détachement avait également produit un troisième jeu de clés pour chaque autopatrouille et avait placé un jeu dans chaque immeuble pour l'ensemble du parc automobile. Ainsi, la GRC conserverait l'usage de toutes ses voitures advenant la perte d'un immeuble.

« De n'y avoir pensé que quelques semaines avant la catastrophe donne froid dans le dos. Je ne croyais pas que cela se concrétiserait aussi tôt, souligne le surint. McCloy. Mais nous ne nous attendions pas à ce que les deux immeubles soient détruits. On ne prévoit jamais ce genre de scénario. »

Mobilisation générale

Après avoir lancé l'appel d'heures supplémentaires obligatoires à l'ensemble de l'effectif, la surint. Dicks a affecté plusieurs membres d'expérience au centre des opérations d'urgence du détachement. Là, ils ont coordonné la mobilisation et adressé des communications aux membres sur le terrain. Ils ont également été en liaison avec les centres des opérations d'urgence régional et du district pour obtenir des mises à jour périodiques sur la progression de l'incendie.

La ville avait déjà connu des catastrophes naturelles comme des inondations et des incendies, mais aucune de cette ampleur. L'insp. Mark Hancock, chef des interventions au CROU, souligne que tous ont joué leur rôle en faisant de leur mieux.

« Nos systèmes étaient en place; dès que les membres ont été mobilisés, nous leur avons attribué des voitures en leur disant où aller, dans une collectivité après l'autre, explique-t-il. Grâce à la formation reçue, les opérations se sont déroulées dans un semblant d'ordre. »

Cela dit, le détachement n'en a pas moins été à court de voitures et de radios, ce qui n'a pas surpris la surint. Dicks. Le détachement n'est pas prêt à mobiliser 136 membres simultanément.

« Le premier jour, le chaos était pratiquement inévitable, souligne-t-elle. Il n'est pas possible de dire : "gardons 50 voitures supplémentaires au cas où un incendie me-nacerait la ville entière". »

Le détachement revoit actuellement ses plans d'urgence en vue d'améliorer la délégation des ressources lors d'une évacuation générale comme celle-ci.

Les canaux de radio saturés ont posé un autre écueil pour la GRC. Comme il s'agissait de l'unique moyen de communication entre le centre des opérations et les membres sur le terrain, il était difficile de transmettre les messages.

« Peu importe le nombre de communications transmises, ce n'est jamais suffisant, précise la surint. Dicks. Il faut communiquer les mises à jour plus rapidement aux inter-venants. »

Le détachement envisage de mettre en place un système de messagerie de masse utilisant le numéro de cellulaire et le courriel de chaque employé. Ainsi, les messages pourront être diffusés en temps réel à chaque membre, sans devoir attendre que les lignes radio soient libres.

Chassés par les flammes

À 22 h, le soir du 3 mai, la ville était déserte. Les membres de la GRC, avec l'appui des policiers municipaux et des pompiers, sont parvenus à évacuer les 88 000 résidents de Fort McMurray en près de six heures.

« De voir ce que tous les intervenants ont accompli, c'est carrément inouï, constate l'insp. Hancock. Quelle aventure : les agents couraient, enjambant des clôtures, frappant aux portes, aidant les personnes handicapées à quitter leur foyer. Chacun a une anecdote à raconter. »

Mais le feu faisait toujours rage et les flammes ont fini par encercler le principal bâtiment du détachement; c'est alors que la surint. Dicks a décidé d'évacuer ses troupes.

« Lorsque la fumée est entrée dans l'immeuble, je n'ai pas hésité une seconde, explique la surint. Dicks, qui est devenue chef du détachement depuis. Nous étions rompus à l'exercice, et il n'y avait pas une minute à perdre. »

Les effectifs ont évacué le bâtiment et se sont réinstallés à la base de rechange dans le sud de la ville.

« Malgré toute la planification du monde, il faut demeurer souple et prendre des décisions spontanées, dit-elle. Rien ne se déroule jamais exactement comme prévu. »

Vingt quatre heures plus tard, le détachement a dû déménager de nouveau. Les flammes ont poussé les membres plus au sud; on a érigé un détachement temporaire au hameau d'Anzac, à 50 km de Fort McMurray. Pour de nombreux membres, c'était la première occasion de se restaurer et de se reposer en 36 heures.

Puis, plus tard dans la soirée, ils ont dû quitter leurs nouvelles installations. Le détachement a déménagé cinq fois en quatre jours.

« Aucun entraînement ne peut préparer les troupes à cette éventualité, souligne la surint. Dicks. Bien sûr, il est toujours facile de porter un jugement après coup; la leçon à tirer, c'est qu'il faut se préparer davantage d'ici la prochaine catastrophe. »

Retombées

Le 7 mai, quatre jours après le début des incendies, tous les membres du détachement se sont réunis à Edmonton, où on leur a donné deux semaines de congé. Plus de 300 membres d'ailleurs au pays étaient venus prendre le relais des agents épuisés.

Le surint. McCloy et la GRC en Alberta ont établi un centre d'accueil pour organiser l'après-incendie pour les membres. Des chambres d'hôtel ont été réservées, des services financiers organisés pour soutenir les membres qui ont perdu leur domicile et des services de santé, dont une équipe de psychologues, ont procédé à l'évaluation de l'état de santé des membres.

Le détachement a aussi recueilli l'adresse courriel et les numéros de téléphone personnels des employés afin de les tenir au courant durant leur congé. Ces coordonnées serviront également à élaborer un plan de communication en situation d'urgence afin de faciliter les rappels au travail et la communication des mises à jour sur le terrain.

Avant de reprendre le collier, tous les membres ont subi une évaluation par un psychologue pour s'assurer de leur aptitude au travail.

« Les membres rongeaient leur frein. Mon but était de les réintégrer dans leurs quarts habituels dès que possible, explique le surint. McCloy. S'ils peuvent reprendre leur horaire, ils peuvent rétablir leur mode de vie. »

Une fois les membres de retour au travail, les surint. McCloy et Dicks ont tenu plusieurs séances de bilan pour recueillir les commentaires des agents sur le terrain. Outre l'amélioration des communications, les membres ont recommandé l'établissement de réserves de rations dans les bâtiments. Nombre d'entre eux ont travaillé dans une épaisse fumée 24 heures durant pratiquement sans eau ni nourriture. Désormais, les immeubles du détachement renferment des provisions suffisantes pour soutenir les effectifs jusqu'à 72 heures d'affilée, et on disposera également de masques respiratoires.

Jusqu'ici, la plupart des membres ont repris le travail, certains ont été mutés dans un autre détachement et d'autres gèrent encore les retombées des incendies. La GRC a entrepris de reconnaître les efforts déployés par les employés qui sont intervenus durant la catastrophe.

« Le moral est au zénith ici, et c'est tout à l'honneur de nos membres, précise l'insp. Hancock. Nous maîtrisons tout autant les mesures de prévention que celles d'intervention. Aucune autre organisation n'aurait pu mieux faire. »

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